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mensonge. Spiegel et ses suffragans de Trêves, de Münster, de Paderborn, fourvoyaient à la fois le Saint-Siège et leurs ouailles. Il y a des circonstances où le désir de la paix à tout prix conduit certaines âmes, même d’une honnêteté moyenne, à se leurrer elles-mêmes, et puis à leurrer les autres ; ainsi faisaient les prélats de la Prusse rhénane, ignorant qu’il n’est pas de points d’arrêt sur la pente des duperies. Aux heures où frémissait en leur for intime une légère brise de remords, ils avaient sans doute, dans la quiétude capitonnée de leur oratoire, de subtiles façons de se prouver à eux-mêmes que l’intérêt de leur calme était celui de leur Dieu.

La simple confrontation du bref papal avec la convention signée par Spiegel eût suffi pour éclairer l’obscurité volontaire de leur regard. Ils ne voulurent pas que l’opinion catholique, dans leurs diocèses, pût faire cette confrontation. Le bref ne fut communiqué aux curés qu’en latin. On les avertissait en outre que le Pape désirait, sur le contenu de cet acte, le plus grand secret. Ainsi le document authentique exprimant la volonté de Rome n’était révélé qu’aux ecclésiastiques : ils savaient le latin, sans doute, et pouvaient voir clair en cette affaire ; mais l’obéissance qu’ils devaient à leurs évêques était garante de leur mutisme. On évitait, d’ailleurs, de leur faire connaître la circulaire du cardinal Aibani, annexée au bref ; c’eût été déchirer à jamais l’artificieuse tapisserie qu’avaient tissée Bunsen et Spiegel sur le canevas pontifical. Tandis qu’on mesurait aux prêtres la dose d’instructions romaines qu’ils étaient dignes de recevoir, les laïques, eux, étaient condamnés à n’être informés de rien ; le bref lui-même, paraît-il, n’était pas fait pour eux. Toutes précautions étaient prises pour que les échos de la chaire apostolique fussent étouffés : l’épiscopat maîtrisait les prêtres à la faveur de leur humilité, les laïques à la faveur de leur ignorance ; les uns ne devaient rien dire, les autres rien savoir.

Bunsen, à Rome, croyait ses positions couvertes par ces multiples silences ; mais un journal de Liège, un « livre rouge » publié à Augsbourg avec quelque fracas, mettaient Rome en éveil. Interrogé par Lambruschini, Bunsen niait, comme « moralement impossible, » l’existence de la convention de 1834, et les évêques de Trêves, Münster et Paderborn, rassuraient à leur tour le Pape en lui expliquant que l’incident des mariages mixtes était heureusement terminé, et qu’ils avaient bien, il est vrai,