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d’autrefois les églises évangéliques de tous pays et en les reliant entre elles. Partout à travers l’univers, l’Eglise catholique réussissait ou s’essayait à vivre ; Bunsen rêvait de la faire se heurter, partout, à une sorte de corpus evangelicorum, comme l’on disait au XVIIe siècle, à une organisation solide et savante de toutes les Églises que la Réforme avait détachées les unes des autres en même temps que du tronc commun. Il s’agissait de donner au protestantisme ces caractères d’unité et de catholicité qui, d’après le catéchisme romain, définissent la véritable Eglise et n’appartiennent qu’à celle de Rome, et c’était à Rome même que Bunsen élaborait ce travail ; c’est au centre même de l’Eglise qu’il se postait, ministre officiel de son roi, pour devenir l’aventureux fondateur d’une contre-Eglise universelle.

Il jeta sur le roc du Capitole son premier grain de sénevé. Une chapelle s’ouvrit chez le ministre de Prusse, au « petit nombre de chrétiens » (ainsi parlait Bunsen) qui vivait à Rome. La liturgie qu’on y pratiquait était l’œuvre de Bunsen : elle rajeunissait les rituels des premiers siècles, diminuait la portée expiatoire du sacrifice du Christ, et mettait en valeur le rôle sacerdotal du fidèle dans la communauté évangélique. Mais les « chrétiens » étaient trop rares ; les beaux songes de Bunsen ne faisaient point surgir, sur le Capitole, une véritable communauté. Alors il rêvait d’une grande Église nationale prussienne, dont le roi serait le chef ; il était persuadé que. si elle existait, les catholiques eux-mêmes se convaincraient que pour la liberté, la solidité et la dignité de l’Église, un pape-roi est inutile, et qu’ils échangeraient ce pape-roi contre un roi transformé en pape. Son regard s’étendait sur le monde, pour y projeter des interrogations confiantes ; il dessinait le plan d’une vaste colonisation protestante, semblable à la colonisation grecque d’autrefois ; et l’on peut croire qu’au cours de ces promenades en Italie dans lesquelles, en 1828, il accompagna le prince héritier, Bunsen et le futur Frédéric-Guillaume IV associaient volontiers leurs imaginations jumelles, pour concerter les prochains triomphes du Dieu commun de la Prusse et de la Réforme. On verra plus tard Bunsen, soutenu par Frédéric-Guillaume IV, négocier avec l’anglicanisme l’institution d’un évêché protestant à Jérusalem ; la liturgie de Bunsen prendra droit de cité dans ce nouvel évêché, et, sur la montagne de Sion comme sur celle du Capitole, on priera Dieu comme le voudra Bunsen.. Plus tard encore, le