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abîme entre les anarchistes et les socialistes ; sa proposition fut accueillie par les huées des social-démocrates, qui ont toujours déconseillé la grève générale dans le sens anarchiste, — et c’est aussi la raison pour laquelle M. Guesde la désapprouve en France.

Après une discussion sur ce sujet, écourtée et très confuse, où il ne fut jamais question d’expériences subies, le Congrès écarta la motion des Français, qui demandaient une étude méthodique et une propagande en faveur de cet instrument, d’après eux si redoutable, de la grève de plus en plus généralisée, dont nul ne connaît encore toute la portée. La proposition des Hollandais, — de condamner toute idée de grève révolutionnaire, de n’admettre que des grèves, pour ainsi dire, démonstratives, destinées à appuyer des revendications possibles, à obtenir des résultats importans, — fut votée par le Congrès.

Le Congrès recommande aux ouvriers de ne pas se laisser hypnotiser par l’idée, purement utopique, d’une grève qui, d’un coup d’épaule vigoureux, mettrait à bas la société, du jour au lendemain, mais de travailler chaque jour à fortifier leurs organisations. Les Allemands, eux-mêmes, si hostiles et la grève générale, en ont discuté, dans leurs journaux, l’éventualité, au cas où le suffrage universel serait supprimé en Allemagne par un coup d’État ; mais cela, en vue d’intimider les pouvoirs publics, et non de faire éclater la Révolution.

Aussi bien que la discussion de la grève générale, la présence au Congrès des terroristes russes prouve que l’action politique n’est, selon la règle édictée à Londres, qu’un des moyens de combat admis par les socialistes. En Russie, l’action politique n’est pas possible. Les social-démocrates russes qui, sous la direction de Plekhanoff, un marxiste orthodoxe, suivent la méthode allemande, se bornent à faire de la propagande parmi les ouvriers de la grande industrie ; il les instruisent, les poussent à s’organiser. Les terroristes ont une tactique toute différente, spécifiquement russe. De même que les Bakounine et les Kropotkine, ils appartiennent en grande partie à l’aristocratie, et se donnent pour mission de soulever les paysans, mieux préparés qu’au temps où Tourguenef décrivait dans Terres vierges la vaine tentative du pauvre Nedjanof. Les terroristes usent de l’assassinat comme moyen d’action. Le comité central des terroristes a distribué au Congrès une sorte de jugement, en vertu duquel