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abandonnée, même par les dépositaires de la doctrine[1]. Mais les socialistes ne font qu’en tirer de plus grandes espérances. Plus les classes se rapprochent, plus elles se combattent. La bourgeoisie n’a pu vaincre la noblesse et se substituer à elle qu’après s’être rapprochée d’elle par la culture et la richesse. Le dénuement ne pousse qu’à la résignation ou à la révolte ; il fait des ouvriers religieux ou des anarchistes. Le socialisme éduque et organise les travailleurs en voie de prospérité ; il les prépare à arracher à la bourgeoisie la direction politique et économique de la société.

Ces socialistes éducateurs, lorsqu’il s’agit de politique, de conquête des pouvoirs publics, se recrutent en partie dans l’élite de la classe ouvrière, surtout chez les typographes, mais aussi dans les couches les plus diverses de la bourgeoisie, et c’est ce qui donne à ces sortes de Congrès un aspect si particulièrement bourgeois.

Le mouvement socialiste se produit dans deux directions : de bas en haut, pour ainsi dire, par les syndicats, avec l’arme des grèves ; les syndicats sont uniquement composés d’ouvriers, dirigés par les mititans ouvriers. Il s’exerce d’autre part, de haut en bas, par l’influence que les politiciens socialistes acquièrent dans les municipalités, dans les Parlemens. L’exemple de la ville de Marseille étale à nos yeux les résultats auxquels peuvent aboutir ces deux mouvemens, économique et politique, lorsqu’ils se rejoignent et se combinent. Marseille, si riche et si active, a l’importance d’un petit Etat. La classe commerçante et industrielle s’y est trouvée prise, comme dans un étau, entre les meneurs syndicalistes et les politiciens socialistes. Le résultat ne s’est pas fait attendre : c’est la ruine de la grande cité.

Au Congrès d’Amsterdam, les syndicats qui se rattachent aux partis socialistes n’étaient représentés qu’imparfaitement, d’une façon très inégale d’un pays à l’autre. Presque seules[2], les organisations politiques de France s’y étaient donné

  1. Voir la préface de M. Kautsky à la 4e édition de das Erfurter Programm. C’est dans ce commentaire du programme d’Erfurt qu’il faut chercher les textes du marxisme orthodoxe.
  2. Quelques syndicats isolés se rattachent aux organisations politiques françaises. La Confédération générale du Travail et la Fédération des Bourses du Travail, tout à fait indépendantes, qui aspirent à la concentration de toutes les forces ouvrières, n’avaient pas envoyé de délégués à Amsterdam. Leur organe la Voix du peuple, sous l’influence des anarchistes, n’a pas soufflé mot du Congrès.