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briserait-elle la résistance de l’escadre japonaise ? Atteindrait-elle, de manière ou d’autre, le but qu’elle s’était proposé ? À cette question les événemens n’ont pas tardé à donner une réponse. L’escadre russe a échoué. Des navires qui la composaient les uns ont été coulés ; d’autres ont été très maltraités et ont rejoint la rade de Port-Arthur ; quelques-uns enfin, pourchassés à travers les mers, ont cherché un refuge où ils ont pu, dans les ports chinois ou allemands, et n’y ont pas toujours trouvé la sécurité à laquelle ils avaient droit. On connaît l’incident de Che-fou, qui a failli se renouveler à Changhaï. Les Japonais ont montré une fois de plus que, pour eux, les principes du droit des gens étaient matière à interprétations tout à fait libres, ou plutôt ne comptaient pas, lorsqu’ils avaient le moindre intérêt à les violer. Mais alors une nouvelle question s’est posée, celle de la neutralité de la Chine, et pendant quelques jours il en est résulté pour les puissances neutres, en Europe et en Amérique, des préoccupations très vives qui sont encore loin d’être dissipées. Elles pourraient renaître demain avec toute leur acuité.

Les principes du droit des gens dans la guerre maritime ne sont pas établis d’une manière parfaitement nette : il n’y a pas là de code international qui soit l’objet d’un consentement universel. Cela viendra peut-être, et les partisans de la paix et de l’arbitrage devraient bien tourner leurs efforts de ce côté. Il y a quelque chose d’un peu flottant dans des règles qui ne sont, en somme, que des coutumes : encore ne sont-elles pas les mêmes partout. Cependant on admet d’une manière générale que, lorsqu’un navire belligérant pénètre dans un port neutre, il ne peut, en aucun cas, y être poursuivi et attaqué par l’ennemi. Le même principe s’applique ici sur mer et sur terre, non toutefois sans quelque différence. Sur terre, un détachement d’une armée belligérante qui se réfugie en territoire neutre doit y être immédiatement désarmé et interné. Sur mer, le navire qui entre dans un port neutre a un temps plus ou moins long, mais qui ne saurait jamais l’être beaucoup, pour en sortir après avoir réparé ses avaries avec ses propres ressources, faute de quoi il est, lui aussi, désarmé et jusqu’à la fin de la guerre perd la qualité de combattant. Ces principes ont-ils été respectés par le Japon ? On va le voir. Un navire russe, le Rechitelny, s’était réfugié dans le port chinois de Che-fou. Il devait être mis en demeure par les autorités maritimes chinoises, ou de quitter le port ou de désarmer. Le Rechitelny ne pouvait pas hésiter à accepter le second terme de l’alternative. S’il avait voulu sortir de Che-fou, il se serait heurté aussitôt aux navires japonais qui l’avaient