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Saint-Sulpice (quatrième acte de Manon), et récemment encore le musicien vraiment religieux du Jongleur de Notre-Dame a tracé finement une esquisse, à demi grégorienne et palestrinienne à demi, de la plus orthodoxe Schola.

Le chef-d’œuvre enfin, ou le miracle de l’art non seulement religieux, mais liturgique au théâtre, vous l’avez déjà nommé : c’est le second tableau du Parsifal de Richard Wagner.

Ici tout est sacré. Ici nous ne voyons plus se passer à l’église, comme dans le Prophète, des événemens qui pourraient aussi bien s’accomplir ailleurs. Non : l’action et le décor, le fait et le lieu se commandent et pour ainsi dire se conditionnent l’un l’autre ; on ne saurait les diviser, et les rites chrétiens, loin d’entourer seulement le drame et de l’orner, en font le principal ressort et comme la matière morale elle-même.

Dès les premières scènes, extérieures encore au sanctuaire, une influence mystique se répand. Depuis Guillaume Tell et le modeste chœur de la chapelle, le sentiment de Dieu dans la nature s’est étendu et fortifié. Là-bas une humble cloche seule sanctifiait l’heure. Ici résonnent d’augustes sonneries, des fanfares suaves et lentes, et le soir, les bois, les eaux, toutes les choses sont bénies, toutes semblent prier.

L’homme n’a jamais prié comme prient, autour de l’autel qui porte le cristal sanglant, les serviteurs du Graal. Voici la plus sublime représentation que l’église catholique ait trouvée encore de ses plus sublimes mystères. La plus sublime, et la plus complète aussi : car le sentiment et le culte, l’esprit et la lettre, les attitudes et les mouvemens, aussi bien que l’oraison, la méditation et l’extase, que la foi et que l’amour, toute notre église, ou tout de notre église est figuré musicalement ici. Cherche-t-on par quelles figures ? Il apparaît aussitôt que c’est par celles-là justement, par ces deux-là, qu’une longue tradition consacre, que la pratique moderne avait abandonnées, et que les instructions pontificales se proposent et nous ordonnent de rétablir. Cette longue, très longue scène de Parsifal ne comporte pas un solo, pas un morceau qui sente le théâtre, ou seulement le concert, pas un éclat, pas un soupçon de ce style profane, — je veux dire dramatique et passionné, — où se développe et s’épanouit pour elle-même une musique étrangère, quand ce n’est point indocile, aux paroles ainsi qu’aux rites sacrés. L’orchestre même, — l’orchestre de Wagner et de sa dernière partition — ne craint pas, à l’occasion, de s’effacer devant la voix, ou mieux, car l’ensemble de la scène est choral, devant les voix, tantôt