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oratoire. Enfin, elle est purement vocale : pas un seul instrument ne la soutient. De tout cela que résulte-t-il ? Que la phrase en question, par ses différens caractères — le chromatisme excepté — se rapproche sensiblement d’une phrase de plain-chant. Imaginez-la seulement entonnée par vingt, par cinquante voix, au lieu d’une seule ; puis, étendue et développée ; devenant, au bleu d’une phrase initiale, tout un discours, toute une prière : vous aurez en elle un exemplaire accompli d’oraison grégorienne et purement liturgique.

Et maintenant au contraire, cette phrase de théâtre, essayez de la remplacer par toute autre, si belle qu’elle soit, empruntée même aux œuvres religieuses de l’auteur. Sera-ce le Félix culpa de Mors et Vita ? ou bien, dans Rédemption, la cantilène : Vos bontés paternelles ? Sera-ce, enfin, et pour choisir un exemple encore plus connu, l’admirable Ave Maria — mais admirable autrement — sur le premier prélude de Bach ? Gageons que le public ne souffrirait pas, sans crier à l’irrévérence, au scandale peut-être, de voir un personnage de drame entrer dans la maison de Dieu avec ces accens et ces mouvement de passion humaine sur les lèvres et dans le cœur. Ainsi la musique la plus théâtrale n’est pas toujours celle qu’on pense. Il n’est pas sans originalité, ni sans intérêt pour notre cause, qu’un musicien, aussi grand dans l’art sacré que dans l’art profane, nous donne une pareille leçon, et que l’idéal de la prière, — j’entends et je ne saurais trop y insister — de la prière à l’église, ce soit dans une scène de théâtre qu’un Gounod en ait le plus approché.

Désireux d’y atteindre également, d’autres compositeurs, et non des plus petits, ne s’y sont pas pris d’autre sorte. Rappelez-vous, dans le Roi d’Ys, quel sobre et simple Te Deum accompagne les noces de Rozenn et de Mylio victorieux. Une délicieuse introduction, monastique et virginale à la fois, puis un Ave Maria polyphonique où se mêlent des orgues légères, annonce le pur et pieux chef-d’œuvre qu’est le second acte de la Proserpine de M. Saint-Saëns. Plût à Dieu que les véritables couvens ne connussent pas d’office plus mondain et de plus profane musique ! Il n’est pas jusqu’à M. Massenet… Après tout, ce n’est pas sa faute si la fameuse « méditation » que vous savez est entrée dans l’ « ordinaire » de la messe de mariage, au moins des mariages élégans. L’auteur de Thaïs, en l’écoutant, s’excuse peut-être, comme Lully naguère et dans les mêmes termes : « Pardonnez-moi, Seigneur, je ne l’avais pas faite pour vous ! » D’autant plus qu’à l’occasion, il a su faire autrement, et très bien, pour le Seigneur. Les échos d’un irréprochable Magnificat arrivent jusqu’au parloir de