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que, dans la représentation d’une cérémonie de l’église, magnifique, extraordinaire même, et permettant comme telle un surcroît de pompe liturgique, la musique de théâtre ait pourtant reconnu l’éminente dignité du style de la liturgie.

Vous plaît-il que nous entrions dans une autre église, non plus derrière un héros triomphant, mais sur les pas d’une pécheresse et d’une pénitente ? Ce n’est point aujourd’hui jour de fête : la nef est à peu près déserte et quelques fidèles à peine y ont précédé Marguerite. C’est peut-être jour de funérailles, car un Dies iræ presque liturgique va tout à l’heure se faire entendre, mais de funérailles modestes et vraiment funèbres, dont la musique ne ressemble pas à celle de ces « grands enterremens, » qu’une jeune femme qualifiait devant nous de « délicieux. » Une pièce d’orgue encore nous accueille ; encore un morceau de style simple et sévère, et non point une symphonie à grand orchestre, comme cette ouverture d’Obéron, dont retentissait naguère, un jour que nous y entrâmes, la basilique du Sacré-Cœur. Dans la scène de Gounod, comme dans les scènes de Meyerbeer, une action dramatique est accompagnée par un office religieux ; seulement l’accord est ici plus étroit. Ainsi que l’imprécation de Fidès, le reproche infernal : Souviens-toi du passé ! plane sur des harmonies saintes. Mais il s’unit, il se fond davantage avec elles ; il s’efforce même de leur ressembler et, pour être plus cruelle, plus injurieuse encore, la voix du démon imite ou contrefait la voix de Dieu.

De cette admirable page, la phrase la plus belle, au moins de la beauté particulière que nous cherchons aujourd’hui, c’est assurément la première : Seigneur ! daignez permettre à votre humble servante, de s’agenouiller devant vous. Ces quelques mesures contiennent et résument en quelque sorte une triple perfection : celle de la parole, celle du chant et celle de la prière. La musique n’a jamais rien trouvé de plus triste, de plus humble et de plus las ; rien qui s’abaisse et tombe, d’une chute plus profonde, sous un plus pesant fardeau ; rien qui figure avec plus de vérité l’affaissement de l’âme et même du corps, la démission, la prostration de tout l’être et son anéantissement devant Dieu. Chaque point de cette courbe sonore, chaque note, chaque mot est précieux. Elle est mélodie : en d’autres termes, une forme définie et plastique ; elle a ses contours et son relief arrêté. Mais elle est mélopée aussi, ou récitatif. Elle parle aussi bien qu’elle chante et qu’elle prie. Elle est récitatif, et rien qu’à ce titre elle jouit d’une certaine liberté dans le temps : cela signifie qu’elle obéit moins aux lois de la mesure qu’à celles, beaucoup plus larges, du rythme, et du rythme