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même il semble que la musique exprime, inspire déjà le respect du sanctuaire. Pas d’accompagnement et pas de solo ; rien qui sente « l’air » de théâtre ou la romance de salon ; rien d’autre que deux voix, auxquelles les voix en chœur répondent. C’est peu de chose sans doute, mais c’est grave et touchant, c’est à la fois austère et tendre, et, comme a dit Musset d’une prière encore plus modeste, « c’est tout ce qu’il faut à Dieu. »

« Un grand liturgique, ce Meyerbeer ! » s’écriait un de nos amis, avec lequel nous écoutions le quatrième acte du Prophète. Et Wagner lui-même n’a-t-il pas écrit naguère (nous citons de mémoire) : « C’est à ce fils de l’Allemagne qu’il était réservé de faire voir comment il faut, sur le théâtre, parler des choses de Dieu ? » Au quatrième acte du Prophète, comme au cinquième acte de Robert le Diable, une des principales scènes du drame se passe à l’église. Et le drame, cela va sans dire, ne pouvait, ne devait être et n’est en effet représenté que par une musique dramatique. Mais, cette fois encore, la musique de drame, loin de rien entreprendre contre la musique d’église, en a subi plutôt à de certains momens l’influence et la contagion sainte.

Les dernières fanfares de la « marche du sacre » ont cessé. L’office commence. Alors, que n’entendrions-nous pas à l’église ? Mais, au théâtre, qu’entendons-nous ? Au lieu d’une de ces cavatines de concert ou d’opéra qui, chantées par un « ténor puissant, » ravissent les fidèles parisiens et leurs pasteurs, la plus sérieuse, la plus sobre polyphonie, un Domine, salvum fac ! (a capella), auquel répond en psalmodiant la foule recueillie. Puis l’imprécation de Fidès éclate en sa libre fureur. Meyerbeer ici pouvait déchaîner son orchestre, l’irriter, l’humaniser et le dramatiser autant que la voix. Il a fait justement le contraire. Il a voulu tendre, pour ainsi dire, derrière la passion humaine, un fond religieux : que l’église restât église, et que l’atmosphère ou l’esprit en fût respecté. Sous la malédiction maternelle, une pièce d’orgue, en vrai style d’orgue, se développe, sans rien emprunter à la situation pathétique, sans que rien de cette situation agisse ou réagisse sur ce morceau purement religieux. Même réserve, même calme rituel dans le chœur des enfans, au moins au début de ce chœur. S’il s’anime ensuite, s’il s’échauffe jusqu’au plus foudroyant éclat, c’est que le Roi-Prophète alors apparaît, couronné ; c’est que nous touchons au centre, ou plutôt au sommet du drame et que le théâtre ici reprend ses droits. Il suffit, — et nous ne voulions pas rappeler autre chose — qu’il les ait d’abord sacrifiés, et