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pour ainsi dire ; elles se renforcent et se multiplient, mais sans se confondre. Les thèmes d’église demeurent d’église, insensibles à l’action passionnée que pourtant ils soutiennent, et que même ils exaltent. Ils se prêtent, les nobles thèmes, aux deux héros en conflit : à Bertram qu’ils combattent, à Robert qu’ils secourent ; et le père et le fils jettent au-dessus d’eux leurs cris d’angoisse ou de fureur. Ils se prêtent, mais ils ne se donnent pas. Robert peut bien emprunter la pure phrase de l’orgue ; pour faire de ce chant paisible et divin le chant de son humaine détresse, il y ajoutera de sublimes accens et ces notes de ténor, les plus hautes, qu’on n’entend jamais sans émoi. Mais ces notes ne sont qu’à lui, ne sont que lui seul, et l’hymne se déroule au-dessous d’elles, invariablement pieux et liturgique, sans leur abandonner rien de sa paix auguste et de sa rituelle majesté.

Vous vous rappelez le mot, déjà si juste alors et plus juste encore aujourd’hui, de Thomas Graindorge au sortir d’un mariage parisien : « Bel opéra, analogue au cinquième acte de Robert le Diable ; seulement Robert le Diable est plus religieux. » De quoi précisément s’agit-il en ce cinquième acte ? D’un mariage, voire d’un « grand mariage, » car la princesse de Sicile elle-même attend au pied des autels un fiancé qui tarde, il est vrai, mais qui finit par la rejoindre. Or il est certain que les chants, dont ce fictif hymen s’accompagne, ne ressemblent guère à ceux qu’en des circonstances pareilles, mais réelles, nous avons coutume d’entendre. Ici, pour la première fois, la musique de théâtre l’emporte sur la musique d’église par la convenance et par la piété.

Dans l’œuvre de Meyerbeer encore, voici venir un autre cortège nuptial. Plus blanche que ses voiles de fiancée, Valentine de Saint-Bris passe au bras de son père, et, sur son passage, des jeunes filles, des femmes prient et chantent à genoux. C’est le soir de la Saint-Barthélémy, un soir d’été chargé d’orage ; déjà catholiques et huguenots se regardent et tout bas se défient, et leur sourde colère, et le soir, et la prière, tout est sombre comme ce triste mariage, qui va s’accomplir sans amour. Oh ! la plaintive, attendrissante litanie, sur laquelle tombe et retombe sans cesse, en deux étranges accords, un douloureux et presque funèbre Ave ! Il est admirable, cet Ave Maria, par la couleur pittoresque et dramatique, par tout ce qu’il ajoute à la scène, au tableau, de mélancolie et d’inquiétude. Il ne l’est pas moins par la simplicité, par la pureté du sentiment religieux. On chante ici, hors de l’église, comme il faudrait chanter au dedans. Une zone sacrée environna la chapelle, la défend, et sur le parvis