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ces raisons que l’on court à la campagne. On lui demande le calme au sortir de l’agitation de la ville, la solitude après tant d’odieuses visites, un air pur au lieu de l’atmosphère empestée de Rome. Tranquillité d’une part, saine fraîcheur de l’autre, ce sont les mots qui reviennent toujours sous la plume des écrivains, quand ils parlent des champs ; ce sont les mérites qu’ils célèbrent à l’envi ; mais de la nature ils ne connaissent guère autre chose.

Il y a un danger à cela. Avec ces dispositions d’esprit, on ne saurait aimer la campagne d’une façon constante. On l’aimera par périodes, par accès, et comme par crises. Lorsqu’on sera fatigué du tracas des affaires ou simplement de la monotonie des plaisirs, lorsqu’une journée on aura été en butte à un trop grand nombre de fâcheux, que la poussière, la fumée, les embarras de Rome auront, paru plus désagréables qu’à l’ordinaire, chacun s’écriera comme Horace, qui venait justement d’essuyer d’agaçans bavardages : « O campagne, quand donc te verrai-je ? » On s’en ira, au bord de la mer, dans la Sabine ou les monts Albains. Mais supposez, ce qui arrivera bientôt, le corps reposé et l’esprit retrempé ; le calme et la solitude des champs, dont on n’aura plus besoin, finiront par peser. A distance les importunités de la ville paraîtront supportables ; peut-être même les oubliera-t-on. Que les chaleurs diminuent, et ces campagnards d’occasion, ces ruraux par nécessité, auront vite fait de regagner la capitale. Personne n’allait plus volontiers que Cicéron philosopher sous les ombrages de Tusculum ; mais s’il avait été condamné à y demeurer toute sa vie, c’est des monts Albains qu’il aurait adressé à son ami Cœlius, comme il la lui adressa de Cilicie, cette exclamation désolée : « Rome ! Rome ! là est la vie, là est la lumière ! » Horace aussi, que nous venons d’entendre souhaiter avec tant de passion la campagne, soupire surtout après elle quand il est à la ville. Il en fait l’aveu : « Dès que je suis à Tibur, je désire être à Rome. » Tel fut le sentiment général des Romains de l’Empire. Les écrivains, lorsqu’ils font l’éloge d’une villa, ont bien soin de mettre au nombre de ses avantages la proximité où elle est des sept collines et la facilité des communications pour s’y rendre. Quatre milles seulement séparent Tibur de Rome, et c’est un grand mérite. « Tu t’étonnes, disait Pline à son ami Gallus, que je me plaise tant à ma terre du Laurentin. Tu cesseras de t’étonner lorsque tu connaîtras ce lieu