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se développe. On prend davantage l’habitude de se voir, pour se lire une pièce de vers, échanger quelques idées à cette occasion, ou, simplement, pour causer sur tous sujets. C’est une façon d’occuper les momens de repos que le nouveau régime dispense avec tant de largesse.

On va demander la fraîcheur aux bords du Tibre, qui se couvrent bientôt de maisons jusqu’à la mer. Ces villas sont même si nombreuses que, selon Pline l’Ancien, tous les autres fleuves du monde réunis n’en montreraient pas autant sur leurs rives. Exagération à part, il reste que c’est un lieu très fréquenté par la société élégante, et nous nous représentons aisément, d’après quelques vers de Properce, les jardins terminés en terrasses, qui dominent le Tibre et, vers la fin du jour, de gais convives couchés sur des lits de table, buvant du vin de Lesbos dans des coupes ciselées par Mentor, tandis que sous leurs yeux des barques légères sillonnent le courant. — On se porte aussi à l’embouchure même du fleuve, près d’Ostie, devenue depuis l’Empire le grand entrepôt de Rome, et où chaque jour affluent davantage les blés d’Afrique destinés à nourrir le peuple maître du monde. Comme dans toutes les villes de commerce, il y a là de grosses fortunes, de riches négocians, des banquiers, qui veulent jouir de leur opulence, construisent de superbes villas, donnent des fêtes brillantes. L’argent vite amassé s’y dépense avec la même rapidité. Les citadins de Rome ne résistent pas à cet attrait du luxe ; ils désirent prendre leur part d’une vie aussi facile, passer quelque temps dans ces lieux que l’on croirait être le séjour de Vénus, tant la verdure et les fleurs y sont abondantes, tant l’air y est embaumé du parfum des roses. Et ce n’est pas seulement le voisinage immédiat d’Ostie qui offre un séjour délicieux ; toute la côte, dans la direction d’Antium, n’est ni moins agréable ni moins peuplée. Là s’étend le territoire de l’ancienne Laurente, où régnait le vieux Latinus, le roi légendaire de l’Enéide. Pline le Jeune, qui viendra souvent s’y reposer, parle avec admiration de ce rivage, « où se pressaient les maisons de campagne, tantôt sans interruption, tantôt avec quelque intervalle, de façon à former comme autant de villes, de l’aspect le plus varié. »

Ce qui nous étonne, nous modernes parcourant tout ce pays, de Rome à la mer, c’est qu’il ait pu être, à une certaine époque, si vivant et si habité. Aujourd’hui ce ne sont que des solitudes,