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de ne plus revoir ses villas qui lui tenaient tant au cœur, « ces villas si joliment construites, si charmantes, ces perles de l’Italie. » Ce qu’il en regrettait, c’étaient les objets d’art dont il les avait ornées à profusion, les tableaux de ses galeries, les statues de ses jardins, tous ces chefs-d’œuvre des maîtres helléniques qu’il appréciait en connaisseur délicat ; c’étaient les livres de ses bibliothèques, vieux et fidèles compagnons qui l’avaient recueilli, quand il était meurtri par la politique, et plus d’une fois réconforté ; c’étaient les beaux ombrages de ses allées, sous lesquels il s’entretenait avec ses amis de philosophie et d’éloquence ; c’était enfin cette paix des champs, si favorable à l’étude, qui lui avait procuré ses momens de plus complet bonheur.

Ainsi, d’une part son goût de la vie large au milieu de jouissances artistiques, son amour du luxe même, mais d’un luxe de bon aloi, et d’autre part le besoin de repos après les luttes du forum et les fatigues du pouvoir, voilà ce qui l’attacha pendant toute son existence à ses maisons de campagne. Nous ne serons pas étonnés qu’elles aient été nombreuses. Il nous parle lui-même à maintes reprises, — car il se plaît à en faire les honneurs, — de huit habitations très importantes qu’il avait en différens points de l’Italie. À ce chiffre ajoutons toutes les petites maisons achetées le long des grandes voies romaines, sortes de pied-à-terre où il descendait, quand il ne pouvait pas atteindre en une seule journée tel ou tel de ses domaines, ou quand il se transportait de l’un à l’autre. Sans doute, même les plus belles de ces demeures ne devaient point égaler en opulence celles d’un Métellus. Cicéron n’avait pas une de ces fortunes prodigieuses, comme on en voyait alors, capables de suffire aux profusions les plus insensées. Mais ce qu’il avait, — une jolie aisance encore, — il le dépensait pour embellir ses villas. Il se ruinait en statues, en tableaux, en livres, et, une fois ruiné, il s’endettait plutôt que de renoncer à ses caprices d’amateur.

Sa résidence la plus éloignée était à Pompéi, non loin du golfe de Naples. Sur la mer elle-même, il possédait des maisons à Pouzzoles, à Cumes, et près du lac Lucrin. De la première il goûtait fort la tranquillité ; mais « il ne s’y sentait pas chez lui comme ailleurs. » Les autres étaient bien rapprochées de Baies ; et Baies était un endroit dangereux, l’hôtellerie de tous les vices, dira plus tard Sénèque, tout au moins le rendez-vous des mondains et des élégans, un lieu d’amusement, où se donnaient