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empourprée par les feux du couchant : c’est la mer avec l’horizon sans limites. Le soleil y descend peu à peu, majestueusement, et, sur le point de disparaître, il achève de donner à ce spectacle d’une capitale perdue dans un désert son caractère de grandeur calme et de splendeur mélancolique.

Cette impression, on pouvait déjà l’éprouver dans l’antiquité ; moins forte assurément : le sol étant alors plus cultivé, la campagne plus habitée et plus vivante, on n’était pas oppressé par ce sentiment de l’abandon et de la désolation des choses. Mais les contours avaient déjà leur sévère harmonie, le paysage sa beauté puissante, et il est à croire qu’un artiste comme Hadrien n’y était pas insensible. En revanche, aux yeux des rêveurs et des amateurs de pittoresque, la villa elle-même a, depuis l’Empire romain, acquis des charmes qu’elle n’avait pas autrefois. Si elle était intacte, j’imagine qu’avec son incroyable accumulation d’édifices, — pièces de réception, cabinets de repos, basiliques et exèdres, bibliothèques, thermes et nymphées, théâtres, odéons, vestibules, péristyles, salles de tout genre et de toutes proportions, serrées les unes contre les autres, et resplendissant des marbres les plus variés, — elle nous aurait produit un effet de magnificence sans égale. Mais trop de luxe fatigue. Devant ces merveilles d’architecture et ces raffinemens de l’invention humaine, nous aurions fini par regretter un peu la simple nature, que l’art avait trop supprimée.

La nature, aujourd’hui, a repris ses droits. La villa, après avoir subi d’abord les invasions des barbares, puis le pillage des antiquaires, a été entièrement envahie par la végétation ; le lierre a grimpé, l’herbe a crû, les arbres ont poussé. Oserai-je avouer que je ne le déplore qu’à moitié ? Ces constructions éparses, ces blocs de pierre, ces pans de murs sont la joie des archéologues et des architectes ; ils y trouvent, les uns une occasion d’exercer leur sagacité et de faire d’ingénieuses hypothèses, les autres une belle matière à restaurations. Puis, c’est ici le lieu, ou jamais, de parler de la poésie des ruines. L’unique muraille qui s’est conservée du Pœcile, est peut-être plus belle, plus saisissante, débris resté debout au milieu de l’édifice écroulé, qu’un temps où le portique se dressait tout entier. Elle tire de son isolement même une valeur inattendue. Outre que l’œil apprécie mieux ses étonnantes dimensions, ses 10 mètres de haut et ses 230 mètres de long, elle se profile avec plus de netteté sur