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ainsi exploré à fond le pays. Mais le cours de mes pensées est violemment interrompu quand nous sautons les fossés, grimpant d’un côté, dégringolant de l’autre, et il ne s’en faut de guère que mon pauvre tarentass soit brisé en deux. Avant d’aller plus loin, je crois qu’il serait bon de décrire mon tarentass.

Il consiste donc en quatre petites roues, très distantes, l’essieu de bois étant fixé au centre à une longue tige. Un panier, qui a l’air de tenir le milieu entre le canot et la baignoire, est attaché au timon, et la vibration de ce timon tient lieu de ressorts. Il ne serait pas exact de dire qu’il en fait l’office ; mais il sert à maintenir ensemble les roues et le panier, ce qui est après tout un résultat dont on peut être fier sur les grandes routes d’Asie. Je ne suis plus traîné par des mules et j’ai trois chevaux attelés côte à côte, à la mode moscovite. Ce sont de petits poneys cosaques, la crinière et la queue très longues, la taille un peu au-dessus des poneys des Shetlands, forts et vifs. Le cheval du milieu est plus gros que les deux autres et peut trotter, tandis que les poneys de droite et de gauche doivent galoper tout le temps, la tête gracieusement enrênée et maintenue de côté. Le harnais n’est pas moins excentrique. Il est composé de brides interminables dont on ne saisit pas l’utilité, mais qui sont très pittoresques avec leur garniture de clous d’argent. Mon cocher, comme les chevaux, est cosaque et semble être pleinement conscient de l’importance de son rôle. Comme escorte, j’ai une quinzaine d’hommes ; avec leur blouse de toile blanche et leur casquette plate, blanche aussi, ils font une traînée brillante dans le paysage. Ce sont de bonnes natures, toutes simples, des fils de moujiks, avec de brillans yeux bleus, le teint clair et une expression d’enfans. Ils ont l’air de se sentir tout à fait chez eux dans cette contrée lointaine, car leur propre genre de vie, primitif et patriarcal, diffère peu de leur nouveau milieu. On a peine à croire que ces gens puissent devenir cruels et altérés de sang à la guerre, commettre des atrocités de sang-froid et presque inconsciemment. Quand le combat est fini, ils deviennent très bons amis avec les vaincus et se mêlent sans aucune gêne aux tribus jaunes.

Une carriole à provisions, petite voiture à deux roues conduite par un jeune Cosaque, complète l’escorte.

Si on me demandait de mentionner les curiosités qui me frappèrent le plus durant le trajet, je citerais deux pagodes, dont