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IV. — RETOUR A LA GARE

Si le voyage de la gare de Moukden à la ville a été périlleux et fertile en émotions, le retour ne l’est pas moins, il y avait tant de choses intéressantes pour moi à Moukden que mon séjour s’y est prolongé au-delà de mes prévisions. Le gouverneur, qui a su toutes les difficultés et tous les désagrémens de mon voyage, m’a très aimablement offert une voiture et une escorte pour me ramener.

C’est un glorieux jour d’automne ; la nature semble faire un dernier effort pour affirmer sa puissance avant de tomber dans son sommeil d’hiver ; et, sur notre passage à travers les faubourgs de la ville, les jardins brillent de toutes les teintes imaginables, depuis le cuivre safran jusqu’au bronze pourpre, car ils sont magnifiquement cultivés. Un peu plus loin, nous entrons en pleins champs et j’ai maintenant une occasion qui ne m’avait pas été donnée à mon arrivée, de juger de la fertilité de cette terre privilégiée. La Mandchourie est, à n’en pas douter, un des plus riches pays du monde : le sol est excellent, les collines sont couvertes de bois épais et les montagnes pleines de minéraux. Le long de la route, nous passons devant quelques fermes où l’on cultive surtout les fèves et le maïs ; hommes, femmes et enfans sont tous occupés aux champs. Le paysage n’est pas très varié. Nous traversons une vaste plaine, entourée de montagnes qui touchent l’horizon. Mais si on ne peut pas dire que le paysage soit pittoresque, il ne manque pas de grandeur ; il a un charme qui lui est propre et comme une atmosphère de vague mélancolie. Sur toutes les grandes plaines, celles d’Egypte. par exemple, ou de Rajpootana, se répand quelque chose d’indéfinissable, d’insaisissable, mais qu’on ne peut manquer pourtant de sentir. Les gens qui les habitent sont affectés par cette atmosphère et le Mandchou a tous les caractères d’une race qui habite un pays découvert. Il est dévoué à sa terre natale, aime la vie du dehors, et n’est vraiment heureux que quand il galope à travers les pâturages ou chasse dans les forêts vierges.

Tandis que nous suivons au trot la pénible route, mon esprit vagabonde et reçoit des idées et des impressions toutes neuves de ce milieu nouveau. Je dois avouer que mes idées sur la Mandchourie et les Mandchous étaient bien différentes avant que j’aie