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Attaqué par le gouvernement, ce scrutin était annulé, le 3 septembre, par le conseil de préfecture. Mais dans la nuit du 4 au 5, réunis à l’Émancipation, les élus déclarèrent non avenue la sentence d’une juridiction brisée avec l’Empire, et décidèrent que, nommés par Toulouse, il leur appartenait d’occuper la vacance du pouvoir. Dès le matin du 5, la foule s’amasse sur la place du Capitule, enfonce les portes du monument pour ouvrir à ses mandataires l’hôtel de ville. Le Conseil proclame au balcon la République et se divise en deux commissions : l’une gouvernera la ville, l’autre le département. La première se déclare en permanence au Capitole et désigne pour maire Gatien-Arnoult, professeur à la Faculté de droit, un de ces républicains qui ne poussent pas aux violences, mais se laissent pousser par elles. De la place on réclame des armes, que la municipalité promet : aussitôt une partie de la foule court à l’arsenal et, moitié de gré, moitié de force, obtient 2 000 fusils. Des conseillers municipaux président à l’égal partage entre les quatre cantons de la ville. Mais, pour assurer quelque régularité dans la distribution, ces surveillans délèguent le pouvoir qu’ils ont pris, et nomment sur l’heure les capitaines de la garde nationale. Les conseillers, républicains avancés, donnent les grades à ceux qui pensent comme eux, et ceux-ci remettent les armes à ceux qu’ils jugent sûrs. Ainsi, dès le 5 septembre, la première mesure réclamée pour la défense de la nation aboutit à l’armement d’un parti[1]. La municipalité, comme le dit Gatien-Arnoult, concilie de cette sorte son double devoir de corps « élu régulièrement et acclamé révolutionnairement[2]. »

Tout est révolutionnaire dans le mandat de la commission qui, pour étendre la main sur le département, court à la préfecture et n’a pas à disputer la place au préfet, déjà disparu. Les cinq membres dont elle se compose sont une élite d’irréconciliables. Elle se donne pour président un récidiviste des rigueurs politiques,

  1. « On les distribuait d’une manière peu régulière et sans beaucoup d’ordre. Ce moment ne le comportait guère. Cependant un conseiller municipal au moins par canton présidait à cette distribution. Ils improvisèrent alors capitaines des hommes qu’ils connaissaient et ces hommes donnaient des fusils aux premiers de ceux qui se présentaient et qu’ils connaissaient aussi. » Gatien-Arnoult, déposition, Annales, t. 24, p. 160. — « Le 5, on prit 1 000 fusils, le 6 on en donna encore 1 000 ; on les distribua à raison de 500 par canton aux plus pressés et, par suite, à bien des gens tarés ou trop exaltés qui n’auraient pas dû être armés. » Colonel de Crouttes, directeur de l’arsenal. — Id., t. 20, p. 239.
  2. Annales, t. 24, p. 162.