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palpiter dans l’arbre tout entier, ne brise pas une branche, ne déplace pas une tige sur la ramure immobile : telle est cette ville en ses instabilités. Pour l’entraîner aux extrémités violentes, il n’y a en elle ni la colère des souffrances sans espoir, conseillères des représailles sans pitié, ni la brutalité d’un sang lourd et cruel. Nulle n’est moins asservie aux instincts brutaux que cette race affinée et sobre où ne s’épaissit pas la chair ; et pas davantage ne connaît-elle les maladies noires de l’esprit qu’elle n’a ni tragique, ni sombre, ni même grave, mais accommodant, et optimiste. Son habitude et son goût d’être heureuse se fie, même dans les difficultés du présent, aux bienveillances de l’avenir ; ses instincts de bonté et de quiétude redoutent, des violences politiques, l’effort, la tristesse et la laideur. Au contraire sa belle humeur se plaît à découvrir le comique mêlé par la vie aux tragédies même, sa verve le saisit, sa puissance d’amplification le magnifie. L’exercice de cette philosophie sans illusions et sans fiel la distrait et la désarme ; elle sait un peu de gré aux fautes qui ont fourni l’occasion à la finesse de ses critiques, à l’entrain de ses résistances, et trouve que tout n’est pas mal dans les maux dont on s’amuse. Aussi est-elle plus incommode que dangereuse aux pouvoirs : son mouvement trouble leur sommeil sans menacer leurs droits, et son ironie s’attaque à leur prestige sans vouloir leur mort.

Telle s’était montrée Toulouse sous le second Empire, dès les élections municipales de 1865. Elle avait nommé des bourgeois un peu frondeurs, pas révolutionnaires, et partisans de libertés modérées. L’Empire, encore autoritaire, tenait surtout rigueur à ces vœux mesurés, parce que leur modestie même était faite pour leur gagner des partisans. Le conseil toulousain fut presque aussitôt détruit et remplacé par une commission municipale. La brutalité de la mesure était provocante : dès que la loi de 1868 sur la presse permit à Toulouse la riposte, le Progrès libéral fut fondé par les libéraux, et l’Emancipation, ancien journal des révolutionnaires, reparut avec son programme et son rédacteur. Celui-ci était Armand Duportal ; ses opinions lui avaient valu la transportation à Lambessa ; que leur constance eût été vaincue par un an d’épreuves, qu’il eût offert la paix à l’Empire contre une place de bibliothécaire ou de sous-préfet, qu’il fût demeuré ennemi pour n’avoir pas été agréé comme serviteur, on l’a prétendu plus tard, mais alors aucune attaque