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que le reste du département. Il brûle de son propre feu, sauf la région d’Aix, fertile et calme oasis au milieu de la fournaise. Arles vient d’élire un conseil qui s’appelle lui-même « démocratique radical, » et dans l’arrondissement les habitans sont tous blancs ou rouges[1], c’est-à-dire chauffés au rouge ou chauffés à blanc. Les villes du littoral, agricoles comme Aubagne, commerçantes comme Cassis, maritimes comme la Ciotat, sont rouges. Dans le Var, la grande cité, Toulon, place forte de la marine, est aussi la place forte de la démagogie, qui a pour troupes les ouvriers de l’arsenal ; en face de Toulon, dans la même rade, la Seyne, autre chantier de constructions navales, toute ouvrière par sa population et ses idées, est par l’importance la seconde ville du département ; la troisième est Hyères, voisine et satellite de Toulon. Le chef-lieu minuscule, Draguignan, subirait l’influence au lieu de la donner, s’il ne maintenait son rang par l’intransigeance de ses opinions. Les campagnes ne font pas équilibre à cette poussée, elles s’y ajoutent. Dans les petites villes où vivent les paysans, il n’y a pas d’esprit rural, mais encore l’esprit citadin. Ces paysans ont été les adversaires déterminés du 2 Décembre ; des résistances parfois sauvages ont été comprimées avec une rigueur impitoyable, et celui des leurs qu’on a tué deux fois, Martin Bidauré, demeure vivant dans leur souvenir comme la victime et le symbole de la férocité conservatrice. La sombre histoire de ces temps s’est perpétuée, bien qu’il n’y eût ni réunions ni presse, dans cette multitude toujours groupée, toujours parlante ; et l’imagination, avec de moindres faits, sait grandir des légendes. Sous la peur qui avait vieilli, la haine se retrouvait jeune. Elle s’étendait de l’Empire atout ce que l’Empire avait protégé. L’Internationale ne comptait pas seulement ses 4 000 affiliés de Marseille, ses ouvriers de la Ciotat et de Toulon, elle s’étonnait de ses faciles conquêtes sur les paysans perdus dans les montagnes des Maures[2]. Là donc vibraient

  1. « A Arles et dans tout l’arrondissement dont cette ville est le chef-lieu, les divisions politiques sont peut-être plus tranchées que partout ailleurs. Les habitans y sont blancs ou rouges, selon la dénomination qu’ils se donnent entre eux. Il faut leur rendre cette justice qu’ils ne se doivent rien pour l’exaltation de leurs opinions, je dirais presque pour les excès dont les uns et les autres sont capables. » Rapport du premier Président à la cour d’Aix. Annales, t. IX, p. 208.
  2. Un de ses agens les plus actifs, Bastelica, écrivait, le 28 avril 1870, à Guillaume de Neufchâtel : « Je suis de retour d’une excursion parmi les populations révolutionnaires du Var… J’ai acquis cette fois la preuve invincible, irrécusable que les paysans pensent et qu’ils sont avec nous. Ainsi j’ai fondé en trois jours de marches forcées et pénibles à travers un pays des plus montagneux, cinq sections stratégiques autour desquelles rayonne toute la contrée, Saint-Tropez, la Garde-Freinet, Cogolin, Collobrières et Gonfaron. »