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pouvoir que la volonté générale leur a refusé. Dans la foule que la curiosité des nouvelles jette sur les places publiques, ils trouvent une facile complice, impriment une direction à son instinct de mobilité, soufflent les mots à son goût de retentissement. Le souvenir des excès commis dans cette ville, à toutes les époques de troubles, donne une puissance d’intimidation aux gestes, aux cris et aux menaces d’une populace tragiquement célèbre, aux sons du même tocsin qui avait sonné durant des égorgemens historiques. Aussi les conducteurs des manifestations se substituent-ils sans résistance au conseil municipal et au préfet. La ville et le département appartiennent d’un coup à quelques hommes, du droit de leur audace. Ils se mettent en rapport avec Paris comme « un comité provisoire nommé par la population ; » ce comité, en permanence à la mairie, « a délégué trois de ses membres, qui se tiennent également en permanence à la préfecture. » Ils affirment que « tous les pouvoirs, de l’aveu de toute la population, sont concentrés dans les mains de ce comité provisoire ; » le tout pour conclure : « Télégraphiez le plus tôt possible ordre qui régularise une situation acceptée par tous. » Ils désignent l’homme de leur choix, « le citoyen Alphonse Gent, attendu, » réclament pour lui « des pouvoirs extraordinaires » et, jusqu’à sa venue, ces pouvoirs pour « un membre du comité[1]. » Le gouvernement ne veut ni donner un chef important et énergique à l’exaltation locale, ni perpétuer un interrègne qui deviendrait une anarchie. Mais pour que les comités se dissolvent, que la foule se dissipe, que le tocsin se taise, il faut que cette population reconnaisse à sa tête un des siens. C’est un avocat républicain de Carpentras, Poujade, qui, dès le 6, est nommé préfet de Vaucluse.

Voici enfin, répandues à travers tout le pays, la véhémence et la spontanéité des ardeurs politiques et, sinon l’énergie des convictions, du moins la violence du tempérament révolutionnaire : elles règnent sur le littoral de la Méditerranée.

Là gronde une rumeur de foule, profonde et continue comme celle de la mer…

Le Var et les Bouches-du-Rhône sont le foyer le plus ardent de la passion politique. Elle ne s’exhale pas seulement de Marseille, de sa population deux fois plus populeuse, avec ses 400 000 âmes,

  1. Id., p. 1405 à 1406.