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témoignage à ce sentiment[1]. Mais, si tout cela est bien français, ce français a l’accent du Midi. L’apparence théâtrale, l’expression oratoire des sentimens, même sérieux, abusent les nouveaux venus, étrangers au pays, et leur font entendre plus encore que les gens n’ont voulu dire. Le préfet Ténot est dupe de cette méprise, quand il déclare les mobiles pyrénéens « résolus à mourir jusqu’au dernier, plutôt que d’abandonner un pouce du sol national, » et triomphe de « l’adhésion solennelle faite à la République par les autorités militaires, armée, magistrature, administration, municipalité, clergé, évêque en tête[2]. »

Dans l’Ariège, la race est la même, et semblables sont les sentimens. Mais il y a, en plus que dans les Hautes-Pyrénées, une petite oligarchie de démocrates. Eux seuls parlent et agissent, et c’est pourquoi il n’est pas question de défense nationale, mais de revanche politique. Tenus à l’écart par le suffrage universel, ils saisissent l’occasion inespérée d’atteindre sans lui le pouvoir. Le triomphe de la République à Paris leur donne un prestige soudain pour sommer les fonctionnaires démoralisés de se démettre à leur profit, et ce succès leur permet d’affirmer au gouvernement que la volonté générale les a impérieusement portés où ils sont et où ils veulent rester. Nulle part de si minuscules escortes n’ont suivi les meneurs, et nulle part les meneurs ne se sont plus audacieusement sacrés au nom du suffrage populaire. À Foix, leur chef Anglade annonce au « citoyen ministre de l’Intérieur » qu’il a été « appelé par la population du chef-lieu de l’Ariège pour proclamer et constituer la République, » et que « les chefs d’administration sont venus se mettre à sa disposition, connue commissaire provisoire nommé par la population. » Le coup de main est si facile qu’il réussit même dans les chefs-lieux d’arrondissement : à Pamiers, Vigne, ancien député de 1848, est « porté triomphalement à la sous-préfecture[3]. » Les occupans semblent si résolus à chicaner sur leur dépossession, et ils sont si incapables d’opposer une résistance à toute autre volonté du gouvernement, qu’il les laisse en place.

À l’Est de ces contrées, le sol par la plaine du Languedoc

  1. Le 4, le Préfet impérial écrit : « Les habitants du chef-lieu sont profondément attristés par nos revers, mais ils ne sont pas abattus… De Cabarieu. » Il atteste le 6 les bonnes dispositions du département. Le 8, Ténot : « Ordre parfait et résolution. » Id., p. 1255.
  2. Id.
  3. Id… p, 786 et 787.