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foules pour qui, à certaines heures, la politique devient démente, comme un accès de fièvre chaude.


II

La différence de caractère entre les deux peuples du Midi fut visible dans leur attitude envers la révolution nouvelle.

Bordeaux est la capitale du Midi calme. La ville comptait dans son port et dans ses chais un peuple de manœuvres, gens au sort précaire, à la cervelle légère et à la main lourde ; sa bourgeoisie même tenait depuis quelques années rigueur à l’Empire, elle avait élu un conseil municipal d’opposition et un député républicain ; le 4 septembre, elle n’avait plus de troupes, et la garde nationale n’était pas disposée à se battre pour Napoléon[1]. Les révolutionnaires avaient donc toute licence d’agir. Mais eux-mêmes étaient là comme prisonniers dans la douceur des habitudes. Ils s’attaquent seulement aux statues ; celle de Napoléon est renversée à la place où il avait dit : « L’Empire, c’est la paix. » Mais personne ne tente de déposséder le conseil municipal. Le premier élu qui prend les fonctions de maire est un libéral assez peu farouche pour avoir été décoré par l’Empire : nul ne songe à lui reprocher cette faveur du pouvoir déchu. Lui-même se dit l’interprète de tous en demandant pour préfet Larrieu, le député de la ville, et celui-ci prend possession de son poste sans difficulté. L’opinion est assez tranquille pour que trois serviteurs connus de l’Empire, Haussmann, Jérôme David et Forcade de la Roquette ne craignent pas de se montrer à Bordeaux[2]. Plus assoupie encore est l’opinion dans les départemens voisins et leurs petits chefs-lieux. La plus importante de ces villes, Pau, vient d’élire un conseil municipal où. les libéraux et les républicains sont entrés de compagnie. La révolution donne le pas aux républicains, et le conseil nomme une « commission politique » de trois membres dévoués au nouveau régime. Ils pressent la nomination d’un préfet, le gouvernement choisit l’un d’eux, il sait que leur parti est trop modéré et trop peu

  1. Le Préfet impérial télégraphiait de Bordeaux, le 4 septembre, 4 heures soir : « Désordres graves à Bordeaux. Pas de troupes et la garde nationale refuse de marcher. On vient de jeter à bas la statue de l’Empereur. Bourlon de Rouvre. » Id., 1030-1031.
  2. Id., 1031.