Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la voix sourde, à l’accent lourd, à l’esprit réfléchi dont la lenteur semble paresseuse, et les populations méridionales aux curiosités impatientes, au verbe clair, facile, intarissable. Dans les cités du Nord, le siège séculaire des intérêts communs est « l’hôtel de ville » : conçu pour le service d’assemblées restreintes, les principaux des métiers, des corporations, des quartiers, il est prêt à recevoir les représentans de la population pas la population elle-même. L’espace clos et couvert qu’il faut pour la contenir et l’abriter des intempéries ne se trouve pas aisément ; où il se trouve, s’en assurer la disposition ne fût-ce que quelques heures, coûte trop pour que ces assemblées soient fréquentes ; les rendez-vous ordinaires de la pensée pour le peuple sont les cabarets où il ne s’assemble que par petits groupes, où chaque rendez-vous coûte, cens que les plus ordonnés et les plus misérables ne peuvent payer : ainsi manquent les rencontres où s’enflamment les passions collectives Dans les villes du Midi, le forum d’ombre est ouvert à tous, assez vaste pour tous, attire tous à l’assemblée plénière et quotidienne où ils peuvent raisonner et déraisonner à leur gré. Ce n’est pas le vin, c’est la parole qui fait l’ivresse sobre du Midi. Orateurs, ils se la versent les uns aux autres, et si assembler les hommes est les émouvoir, nuls ne doivent être aussi agités, parce que nuls ne sont si habituellement réunis. Et comme la foule s’amasse, s’informe, se passionne sur la place publique, elle achève de s’exalter par le spectacle de sa force toute prête, elle aspire à l’action, et c’est tout un pour elle de la désirer et de l’entreprendre. De là les ressources qu’elle offre à ses meneurs, de là le caractère soudain, parfois irrésistible, de ses mouvemens et de ses excès.


D’ailleurs cette région de lumière et de chaleur n’est pas partout semblable à elle-même. Toute plate qu’elle paraisse, elle se relève près des montagnes auxquelles elle s’appuie, et, par deux pentes insensibles, incline vers l’Océan et vers la Méditerranée. Son versant occidental, qui touche aux Cévennes silencieuses, à l’Espagne hautaine, aux Landes tristes, au golfe inclément de Gascogne, est ceint de gravité. Sortis de ces flots et arrêtés par ces montagnes, des nuages voilent parfois le ciel, et le sol recueille abondante l’eau des sources et des pluies. La masse des habitant a pu fixer sa demeure au milieu des domaines