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servitudes qui, ailleurs, absorbent, dans les sollicitudes du pain quotidien, le temps et les pensées : car elle accroît la fertilité du sol et diminue les besoins de l’homme. Il échappe aux dépenses qu’imposent le froid rigoureux, le sol humide, le jour obscurci, à l’usure que les climats hostiles font de la richesse la plus précieuse, la santé. Contre cette destruction quotidienne il a moins besoin de cette défense réparatrice qui, dans le Nord, incite si aisément à la gloutonnerie et à l’ivresse. L’atmosphère qui épargne les corps répand une vertu, car elle entretient la sobriété générale. Là, le soleil est le législateur suprême des habitudes et des caractères, autant que des heures. La maison bien close qui, dans le Nord, est le centre de l’existence, n’en est ici que l’accessoire : entre ses murs, où le charme de la contrée hospitalière ne pénètre pas, l’homme tient à l’abri ce qu’il possède, mais aime moins à s’enfermer lui-même. Une existence attirée au dehors par les actes mêmes de la vie domestique, rend plus continu le voisinage des habitans. Le travail mieux récompensé laisse plus de temps libre pour le plaisir et le plaisir aussi rassemble les populations. Des fêtes nombreuses interrompent la monotonie des jours ouvrables, et toutes, sous les cieux des arènes, dans les rues décorées des villes, par les gais sentiers des pèlerinages, promènent des chants, des farandoles, des cortèges, et associent la joie des multitudes à la joie de la nature amie. Enfin, à certains instans, l’activité même du plaisir, comme celle du travail, accable, et cette lassitude enseigne le goût et l’art du repos. C’est encore au dehors que se passent le plus souvent ces heures d’immobilité. Il n’est pas de bourgade qui n’ait sa place plantée de vieux arbres. Sous leur feuillage, quand il fait une tache noire sur la blancheur du sol, les oisifs cherchent abri contre les flèches éblouissantes de la lumière embrasée. Et, tandis que le corps se repose, échanger des nouvelles, des idées, ou seulement des propos, est la ressource de tous les âges et de toutes les conditions. Ainsi ces populations vivent d’une vie publique où la puissance permanente est la parole. Or le sujet où les gens de toute profession trouvent toujours de l’intérêt à dépenser, du nouveau à apprendre, des controverses à soutenir, au moins de grands gestes à faire et de grands mots à prononcer, est la politique. La politique doit donc prendre là une importance qu’elle n’a pas ailleurs. Le contraste est complet entre les populations du Nord