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genre, soit municipales, soit départementales, les situations locales et les considérations de personnes ont une influence si prépondérante, qu’on ne peut pas considérer les résultats du scrutin comme ayant une signification politique décisive. Il faut un courant d’opinion d’une violence extrême pour emporter ces obstacles, et pour permettre à la pensée du pays de se manifester. Ce mouvement d’opinion ne s’est pas produit avec une intensité suffisante, et les choses vont rester à peu près en l’état, ce qui, avouons-le, n’a rien de rassurant.

Ce qui caractérise le suffrage universel, c’est l’absence de toute prévision. Il ne voit les choses que lorsqu’elles sont réalisées. Il ne les sent que lorsqu’il commence sérieusement à en souffrir. L’habileté des radicaux-socialistes est de lui annoncer sans cesse des réformes dont ils lui montrent les côtés séduisans, mais chimériques, et de se garder de les faire parce que les autres côtés apparaîtraient aussitôt. Que pensera-t-on du service de deux ans lorsqu’on en fera l’épreuve, si on la fait dans les conditions où la loi a été votée ? Que pensera-t-on de l’impôt sur le revenu, lorsqu’on en jouira ? Que pensera-t-on de la séparation de l’Église et de l’État ? Le Parlement votera peut-être toutes ces grandes réformes avant les élections prochaines, mais trop tard pour qu’on ait eu le temps de les appliquer, et de manière que le pays n’en ait encore que l’espérance. Est-ce très loyal ? non ; c’est adroit. Pour le moment, le pays est encore dans la lune de miel du radicalisme et du socialisme : il n’en connaît que les promesses, et c’est à peine s’il commence à s’apercevoir qu’on les renouvelle sans cesse sans les réaliser jamais. Nous ne savons pas combien de temps ces choses pourront durer ainsi : lorsqu’elles ne le pourront plus, les véritables difficultés commenceront. Jusqu’ici le gouvernement n’a troublé que des intérêts moraux, et nous avons le regret de dire que c’est chose dont on s’accommode. Mais la matière commence à s’épuiser.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.