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Mais, encore aujourd’hui, entend-il la lui rendre ? Il y a des manières bien différentes de comprendre et d’appliquer la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Si quelques radicaux, comme M. Maujan, disent que la loi nouvelle doit être « libérale » et même « généreuse,  » d’autres, comme M. Ranc, disent que la vieille formule : L’Eglise libre dans l’État libre, est « une bêtise,  » entendant par-là que l’Église, même dans la séparation, doit rester dépendante. Entre tant de projets divers, lequel l’emportera ? Nous ne savons même pas si, bien qu’il soit l’œuvre d’une commission parlementaire, il faut attacher plus d’importance à celui de M. Aristide Briand qu’à tel autre, par exemple à celui de M. de Pressensé. Le premier est sans doute moins mauvais que le second, car tout est relatif ; mais c’est ce qu’on peut en dire de mieux. S’il est adopté tel quel, il donnera beaucoup plus de satisfactions à M. Ranc qu’à M. Maujan, à supposer que celui-ci reste fidèle à ses intentions actuelles, ou que nous ne les ayons pas prises trop au pied de la lettre. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait de nombreuses et peut-être d’inextricables difficultés entre les partisans de la séparation avant qu’ils se soient mis d’accord sur la réalisation de leur réforme. Et à toutes ces causes d’incertitude qui planent sur l’avenir, s’en ajoute une dernière, à savoir le parti pris de ne tenir aucun compte des convenances de l’Église elle-même, de ne pas la consulter, de ne pas même l’interroger, de n’avoir aucun rapport, aucune conversation avec elle pour le règlement d’une question où les intérêts qu’elle représente sont si profondément engagés. Si on veut absolument séparer l’Église de l’État, ne devrait-on pas chercher à le faire avec le moins de dommage possible pour les deux parties, c’est-à-dire à l’amiable : et qui sait si ce serait impossible ? Mais, pour cela, il n’aurait pas fallu commencer par rompre tout rapport avec le chef de l’Église ; il n’aurait pas fallu rappeler l’ambassadeur que nous avions auprès de lui ; il n’aurait pas fallu enfin débuter par un acte de guerre, pour préparer finalement un régime de paix.

Nous reconnaîtrons, si l’on veut, qu’il n’y a pas de traités éternels, et que, étant donné les transformations qui se sont produites dans nos idées et dans nos mœurs, peut-être que, bon gré, mal gré, la marche du temps nous emporte-t-elle vers la séparation de l’Église et de l’État. Nous pensons, comme le faisait naguère M. Combes, que la réforme n’est pas mûre, et que rien ne serait plus dangereux que d’en brusquer imprudemment l’exécution. Mais enfin ce n’est pas une conception qu’on puisse repousser et condamner a priori, et il