l’œuvre de Titien avec celle du groupe nombreux d’artistes de valeur qui ont fait de Venise, vers le milieu du XVIe siècle, un foyer d’art d’une intensité et d’une variété merveilleuses ? Ou bien, ayant à nous raconter les voyages de Titien, à Ferrare, à Mantoue, à Milan, à Rome, voire même à Augsbourg, comment n’a-t-il pas été tenté de découvrir ce que ces villes avaient alors à montrer au peintre vénitien, et quelles leçons nouvelles celui-ci en avait pu rapporter ?
Toute l’histoire de cette période de maturité de Titien reste malheureusement à écrire : elle restera à écrire aussi longtemps que les biographes n’auront pas renoncé à leur fâcheuse habitude de concevoir les artistes de génie comme ne se nourrissant que de leur propre fonds, et créant leurs œuvres, si je puis ainsi dire, « en loge, » à la façon des jeunes concurrens pour le prix de Rome. Il n’y a point d’idée plus parfaitement fausse. Qu’on ait affaire à Raphaël ou à Titien, à Mozart ou à Beethoven, chaque pas que l’on fait dans l’étude de leurs ouvrages les révèle plus profondément plongés dans le courant artistique de leur temps. Ayant mieux à faire, avec leur génie, que d’inventer eux-mêmes des procédés ou des sujets nouveaux, sans cesse ils empruntent au dehors sujets et procédés, sauf à les transfigurer aussitôt en y mettant la main. Bien des « hardiesses » que l’on admire dans les sonates ou les symphonies de Beethoven étonneraient moins, et seraient mieux comprises, si l’on savait qu’elles se trouvent déjà, — tout à fait les mêmes, à la beauté près, — dans des œuvres antérieures de Clementi, de Rust, ou de l’abbé Vogler. Et pareillement, pour intéressantes que soient les explications que nous offre M. Gronau de l’Homme au gant, de la Vénus des Offices, ou de l’Éducation de l’Amour de la villa Borghese, nous comprendrions mieux le caractère véritable de ces chefs-d’œuvre si nous connaissions, en regard d’eux, ce que produisaient au même moment les sept ou huit grands rivaux de Titien à Venise : à Venise et à Ferrare, à Milan et à Rome, dans toutes les villes ou le maître est allé porter, tour à tour, son insatiable soif d’argent et de beauté.
M. Gronau, au reste, se charge lui-même de nous apprendre combien sa biographie aurait été meilleure s’il y avait tenu un compte plus grand des relations artistiques de Titien avec ses prédécesseurs et ses contemporains. Car le fait est que, à partir des pages où il isole Titien de l’art de son temps, tout ce qu’il nous en dit nous laisse une impression incertaine et confuse. Nous sentons bien toujours que ses éloges sont justes, ses descriptions fidèles : mais nous avons peine à voir en quoi la manière du maître a varié, d’une époque à l’autre, et ce