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Hugo ébauche ses Misérables. Aujourd’hui, la façon dont se posent les problèmes s’est modifiée, les esprits ont subi une autre discipline, le roman lui-même s’est approprié des méthodes plus précises. Il est donc aisé de deviner que le roman social nous apparaîtra assez différent de ce qu’il a pu être jadis. Mais sa renaissance, elle-même, est déterminée par des conditions très voisines de celles qui jadis l’ont aidé à naître.

Chacun des écrivains que nous verrons s’y essayer y portera, comme il est naturel, son tour d’esprit ordinaire, et le fera servir à l’examen des problèmes dont il est le plus tourmenté ou à l’expression des idées que son expérience lui a signalées comme essentielles. Formé à l’école de Taine, M. de Vogué s’est efforcé de tout temps à jeter sur l’histoire contemporaine des regards de philosophe. Par delà les incidens de la mêlée quotidienne, il a cherché à distinguer les élémens profonds et permanens. À mesure que les événemens se produisaient, ce qui lui a semblé le plus intéressant, ç’a été de les rattacher à leurs causes lointaines, et de prévoir les conséquences qu’elles pourraient entraîner un jour par l’effet de cette logique qui veut que dans la vie publique, comme dans l’autre, tout se paie. Calculateurs à courte vue, nous n’apercevons dans les spectacles qui se déroulent sous nos yeux que le résultat de nos combinaisons particulières, de nos efforts, de notre habileté ou de nos fautes. Nous oublions que la partie était engagée bien avant l’heure où nous y sommes entrés, et qu’il n’a pas même toujours dépendu de nous d’y choisir notre place. La grande difficulté est de trouver le juste point de perspective et de percer le brouillard d’apparences que font les réalités actuelles.

Cette idée du passé qui pèse de tout son poids sur le présent, de l’histoire antérieure continuant à façonner l’histoire que nous vivons, c’est celle que M. de Vogué mettait en œuvre dans son roman Les Morts qui parlent. Lui-même il avait été, pendant une législature, mêlé à la vie parlementaire. Et il n’avait pas eu de peine à constater que beaucoup de ces représentans de la souveraineté nationale ne sont que des fantoches. Ils font les gestes, ils miment les attitudes, ils disent les mots ; mais qui tient les ficelles de ces marionnettes, qui a réglé la pièce où elles figurent, quelle voix parle par leur bouche ? Car en vérité ce qui achève de nous rendre inintelligible la parade politique, — drame ou comédie, — c’est que nous en connaissons les acteurs. Nous les connaissons pour être le plus souvent des indifférens, médiocres même dans l’ambition et même dans la haine. D’où vient donc la violence avec laquelle ils mènent la bataille, pour des