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verrons s’en dégager une forme de roman qui, si elle n’est pas sans attaches dans le passé de notre littérature, avait été pour le moins négligée pendant un long espace de temps. A travers toutes ces œuvres, d’ailleurs si diverses, se continue un même effort pour réconcilier les idées avec le roman et pour renouveler le type du roman social.

Qu’il fût devenu nécessaire de réconcilier la littérature romanesque avec la littérature d’idées, et que l’une eût été violemment séparée de l’autre, c’est ce que nul ne contestera, pour peu qu’on se rappelle ce qu’était devenu le roman, il y a une trentaine d’années, entre les mains des écrivains naturalistes. Transformant en système les indications de leur propre tempérament et se faisant une vertu de leur impuissance à penser, ils exigeaient d’abord du romancier qu’il fût le plus inintelligent des hommes. Il devait abandonner à la controverse des spécialistes les questions essentielles qui se posent à chaque époque et lui font son atmosphère morale. Artiste, il ne pouvait l’être complètement qu’à condition de vider son art de tout contenu intellectuel, et cet art, devenant chaque jour plus superficiel, ne devait consister qu’à peindre les figures, les attitudes, les gestes, dans le décor de la vie contemporaine, attendu que ce sont les seules réalités que puisse atteindre le regard de l’observateur. Plus l’école allait exagérant son principe, plus ces réalités, auxquelles elle se restreignait, devenaient mesquines, indifférentes ou niaises, pour ne rien dire ici de leur grossièreté. Et, dans le moment même où les romanciers célébraient avec le plus d’emphase la souveraineté du genre où ils s’exerçaient, celui-ci, par leur faute même, retombait à n’être qu’une œuvre frivole et vaine. Aussi toute la partie du public qui souhaite avant tout de trouver dans ses lectures quelque intérêt d’humanité, se détournait-elle du roman français et passait-elle à l’étranger pour en rapporter des livres, d’une forme moins artiste peut-être, mais plus riches de substance. — C’est pour reconquérir cette catégorie de lecteurs qu’on s’avisa de lui rendre le genre du roman d’analyse, le premier qui ait été conçu en dehors de l’esthétique naturaliste et en réaction contre elle. Il n’en est pas qui soit davantage en accord avec notre tradition ; et c’est bien un des traits de notre caractère national que cette curiosité à connaître le détail exact et les mouvemens les plus secrets de la vie intérieure. Une fois de plus, le roman a retrouvé dans cet emploi de l’analyse un regain de vitalité : il lui a dû des œuvres délicates, pénétrantes, et. dont tiendront compte quelque jour ceux qui voudront étudier un certain moment de notre sensibilité. Mais on sait que dans la voie du raffinement, l’analyse ne s’arrête pas et qu’elle