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paraît « essentielle »[1] à la race, tout, dis-je, contribue à nous donner des Celtes une peinture renanisée.

Joignez que l’article sur la Poésie des races celtiques porte nécessairement sa date. A l’époque où Renan le composa[2], les monumens de cette poésie étaient encore mal connus. Ceux mêmes que l’on connaissait n’en présentaient qu’une image souvent mensongère, presque toujours inexacte. Des deux principaux recueils de textes dont Renan put consulter la traduction, l’un, celui des Mabinogion, avait dépouillé, en passant par l’anglais de lady Guest, la saveur robuste et parfois un peu violente de son bouquet original. Quant à l’autre, le Barzas-Breiz[3], bien que son authenticité n’eût pas encore été sérieusement contestée, sa valeur documentaire n’avait pas laissé d’inspirer des doutes à Renan lui-même, comme en témoigne certaine note où l’on voit qu’il flaira la supercherie longtemps avant que Luzel ne l’eût ouvertement dénoncée.

Si l’article sur la Poésie des races celtiques avait été rédigé quelque quarante ans plus tard, il est à croire qu’il nous eût donné de l’« enfance » des Celtes un tableau tout différent. En l’espace de ces quarante années, l’étude des littératures celtiques s’est, on peut le dire, renouvelée de fond en comble. Les travaux des Gaidoz, des d’Arbois de Jubainville, des Loth, des Ernault, des Dottin, pour ne parler que de la France, ont jeté sur la physionomie de ces peuples une lumière qui en accuse singulièrement le relief. Au lieu d’une race douce, timide, isolée dans son rêve et dédaigneuse de l’effort, voici surgir, au contraire, des natures véhémentes, passionnées, presque bru taies, avides d’action, ivres de mouvement et de bruit.

Parcourons les longues listes d’épopées que nous ont conservées les manuscrits irlandais du XIIe siècle. La seule inspection des titres a déjà son éloquence. Ce ne sont que Feis, « fêtes, » Longes, « navigations, » Cath, « combats, » Orgain, « massacres, » Togail, « prises de forteresses, » 'Tain, razzias de « bestiaux, » Aithed, « enlèvemens de femmes. » Que si l’on pénètre dans les récits, on est transporté dès l’abord en pleine

  1. Essais de morale et de critique, p. 385.
  2. L’article sur la Poésie des races celtiques parut dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1854.
  3. Barzas-Breiz. Chants populaires de la Bretagne, recueillis et publiés par Th. de la Villemarqué, 2 vol. in-8o ; Charpentier.