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qui dégrossissent d’abord la pierre, en l’ébauchant en losange, en navette ou en poire. Ceux-là amollissent, au feu d’une lampe, deux petites mottes de Comme laque, et fixent une pierre dans chacune d’elles. Ensuite, les mains garnies de demi-gants de cuir rembourrés d’ouate, les pouces butés aux bords d’un petit bac en cuivre de la taille d’une tabatière, ils frottent les deux pierres l’une contre l’autre, pour arriver, peu à peu, en les usant Furie par l’autre, à leur donner leur forme. Mais elles ne s’usent qu’à force de violence, et l’effort du bruteur est toujours dur. Ses doigts, rien qu’en s’y appuyant, finissent par creuser le cuivre du petit bac comme les câbles d’amarrage creusent les arrêts de bois des pontons, et ses mains, à la longue, sont toutes déformées d’exostoses, d’oignons, de bosses enflammées. Il travaille cramponné et congestionné à sa table, la nuque gonflée et rouge, les coudes secoués de saccades. Ces brûleurs sont une dizaine, font des journées de 12 à 15 francs, mettent deux ou trois jours à dégrossir un beau diamant, puis le passent aux polisseurs installés devant les petites meules qui tournent sur les établis, sous les courroies filantes, et qui ressemblent à ces toupies que fabriquent eux-mêmes les enfans avec une petite rondelle de bois traversée par une allumette.

Ici, seulement, la toupie est en fonte polie, de la grandeur d’une assiette, et tourne, le pied en l’air, à l’effrayante vitesse de 2 800 tours à la minute. L’ouvrier lapidaire, en une heure de travail, la voit repasser 148 000 fois, et c’est sur cette rondelle tournante, ou, comme on dit dans le métier, sur ce « plateau de polisseur, » qu’on va maintenant faire les facettes, leur donner leur éclat, les allumer. Comme le bruteur, d’abord, le polisseur fixe la pierre dans une motte, mais dans une motte de soudure, pose la pierre sur le plateau tournant, et l’y laisse crier et s’user jusqu’à la formation de la facette. Il ôte alors la motte de la meule, la remet au feu pour l’amollir, en retire le diamant, l’y refixe dans un autre sens pour y faire une autre facette, et l’y déplace et replace ainsi, assez souvent, plus d’une centaine de fois, dans plus d’une centaine de sens différens, pour y pratiquer plus d’une centaine de facettes. Et combien de temps faut-il pour qu’une seule facette brille ? Généralement plusieurs heures, et quelquefois plusieurs jours. Le polisseur met la pierre sur la meule, la reprend, la regarde, voit si la facette s’annonce, la suit, la guette, la surveille à la loupe, y finit sa journée, y recommence