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sertissage 986 fr. 95, en comptant une moyenne de 0 fr. 40 par pierre, à savoir, en chiffres ronds, 2 000 pierres incrustées dans 2 000 trous. Sans même tenir compte des dessinateurs, appointés au mois, vous arrivez ainsi à une main-d’œuvre de 3 367 fr. 45 autrement dit, d’une façon générale, à la vie d’une famille moyenne d’ouvrier ou de petit employé pendant un an, ou, spécialement, et en fait, à celle d’un ouvrier joaillier pendant quatre fois, d’un monteur pendant deux mois et demi, et d’un sertisseur pendant trois mois.


III

Et quelle est l’existence de ces joailliers, de ces sertisseurs, de ces polisseuses et de ces dessinateurs ?

Le joaillier et le sertisseur gagnent en moyenne 12 francs par jour, et leur tenue, leur vie, leurs habitudes, leur physionomie sont du petit employé plutôt que de l’ouvrier. Voyez-les dans la rue, avec leur chapeau rond, leur pardessus boutonné, leur air de petits bourgeois corrects, et vous les prendrez facilement pour des bureaucrates. Ils travaillent dans une blouse blanche, mais la laissent à l’atelier, comme le bureaucrate laisse ses manches et son veston de travail à son bureau. Comme le bureaucrate, également, l’ouvrier sertisseur ou joaillier est plutôt homme de famille. Sa femme est dans les modes ou la couture, mais n’exerce que ces états-là, ou des états analogues quand elle exerce un état. Enfin, et toujours comme le bureaucrate, il habite volontiers la banlieue. Il y loue, ou quelquefois même y achète, une de ces maisonnettes qui fourmillent autour de Paris. Quatre murs, un petit toit de tuiles, un petit sous-sol deux petites pièces au rez-de-chaussée, et deux autres au-dessus, le tout en face d’un de ces horizons pseudo-rustiques qu’interrompent des réclames de tailleurs, de liquoristes ou de pépiniéristes, plantées au milieu des champs. C’est peu, mais c’est cependant une maison, avec un jardinet, de l’air, des fleurs et du gazon. Il part de là le matin, y revient le soir, s’y repose le dimanche, y respire en été, y élève ses enfans, et y fait des projets pour eux.

Le métier de la polisseuse est à la fois salissant et délicat. Assise à sa table, dans son long tablier-fourreau, au milieu de son attirail de chiffons, d’écheveaux, de petites baguettes de