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d’usage, d’ornement ou de consommation, serait donc, en réalité, la plus étendue, la plus touffue, la plus définitive des encyclopédies. Ce qui semble le plus excentrique à la solidarité générale s’y révélerait peut-être même au contraire, malgré son caractère exceptionnel ou futile, comme se rattachant de la façon la plus étroite à l’intérêt collectif. C’est de ce point de vue que je voudrais esquisser l’histoire d’un de ces objets de grand luxe que certaines écoles socialistes dénoncent comme la forme la plus insolemment inutile du capital. Un collier de 100 000 francs, de 500 000 francs, d’un million, ou de plus encore, est-il bien réellement une richesse inutile ? Manque-t-on bien toujours, en le portant ou en l’acquérant, à ce devoir naturel et social en vertu duquel la vie des uns doit toujours plus ou moins contribuer à la vie des autres, et lui rendre ce qu’elle en reçoit ? Ou bien, lorsque le collier sort de chez le joaillier, prêt à parer la grande dame, et la moins grande, ou l’actrice à la mode, n’a-t-il pas déjà contribué, et souvent même pour une large part, à l’existence collective ?


II

Un homme toujours un peu surpris, c’est le joaillier à qui l’on demande la genèse industrielle et économique d’une de ces parures de haut prix. Il demeure d’abord dans le plus profond embarras, comme devant une question qui est tout un monde. Puis, avant toute autre réponse, il commence par distinguer entre le collier de perles et le collier de diamans. D’histoire proprement dite, ou tout au moins d’histoire industrielle, le collier de perles n’en a pas. On monte la perle comme on la pêche, fût-elle assez grosse, d’une forme assez régulière et d’un assez bel orient, pour que la parure valût un million. En valût-elle deux, elle ne représenterait encore qu’une main-d’œuvre insignifiante, celle que peut représenter le travail d’un pêcheur, d’un perceur et d’une enfileuse. On pourrait, il est vrai, essayer de suivre les chemins par lesquels cent ou deux cents perles aussi rares ont bien pu arriver à se rencontrer sur le même fil. Chacune d’elles est déjà un objet de choix, et, assez fréquemment, ne vient pas d’où vient sa voisine. Par quelles mains de revendeurs, de courtiers ou de propriétaires ont-elles donc passé ? Et le collier ne passera-t-il pas lui-même d’héritier en héritier ? Ne