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HISTOIRE D’UN COLLIER


I

On nous a souvent proposé de méditer l’histoire d’un grain de blé ou d’une bouchée de pain. Mais ne pourrait-on pas méditer de même sur tout ce qui sert à la satisfaction de nos besoins ou de nos plaisirs ? Que de choses, pourvu qu’on sache les y voir, dans la fumée d’une cigarette, et quelle quantité d’ouvriers et d’ouvrières vivent de la fabrication de ce petit feuillet qu’on détache de son cahier, et du tabac qu’on y roule, et de l’allumette qui l’allume ! Combien de milliers d’hommes et de femmes, dont toutes ces petites fumées sont le pain, et qui ne sauraient plus de quoi subsister, si par hasard on ne fumait plus ! Songez de même aux populations de travailleurs, aux scènes et aux tumultes d’usines, dont la vision ou le bruit pourrait nous arriver par la bouche de chaleur qui chauffe notre bureau ! Voyez encore s’il se donne un dîner où la tiédeur de la salle, le vin qu’on boit, la chair ou le poisson qu’on mange, le linge, les fleurs, l’argenterie, les toilettes, les cristaux, ne vous raconteraient pas, si vous les écoutiez, des infinités de drames ou d’efforts, de fortunes ou de misères, et ne vous ouvriraient pas sur le monde, et sur tous les mondes, des infinités d’horizons ! L’invité qui prêterait seulement l’oreille à la millième partie de ce que lui diraient ainsi son assiette ou sa fourchette, le verre où il se verse de l’eau, ou même le morceau qu’il mange, ne pourrait plus que rester plongé dans le plus profond des silences, et s’il revenait à lui, vers la fin du dîner, ce serait sans avoir entendu un mot de ce qu’auraient dit les convives. Un dictionnaire économique, pittoresque, anecdotique, de tous les objets