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fatalité de la passion. Et c’était justement elle qui allait prouver par son exemple, à la stupéfaction de la France entière, que nul, fût-ce une Grande Mademoiselle, n’échappe à son sort quand son sort est d’aimer. Ce fut le grand malheur de sa vie.


VI

Il n’est pas sain pour une vieille fille amoureuse de l’amour, et à cent lieues de s’en douter, de vivre dans l’intimité de personnes dont l’unique occupation est de se faire aimer. Mademoiselle avait eu l’idée singulière, et qui devait lui coûter cher, de se lier avec Mme de Montespan et d’en faire à la Cour sa société préférée. Elle la recherchait, lui rendait des services et en acceptait. Mme de Montespan était son truchement pour arriver à l’oreille du Roi ; Mademoiselle tâchait à calmer M. de Montespan, qui, pour des raisons bonnes ou mauvaises[1], se « déchaînait » en « fou » et en « extravagant » contre Madame sa femme : « — Il est mon parent, et je le grondais, » disent les Mémoires de Mademoiselle.

En bonne connaisseuse, Mademoiselle goûtait infiniment l’esprit original de Mme de Montespan. Le plaisir de lui renvoyer la balle avait commencé leur familiarité : personne, de plus en plus, ne résistait à la séduction de l’esprit. Dans le désœuvrement accablant de la Cour, c’était la seule ressource contre l’ennui. On la prenait où on la trouvait. La sage et prudente Mme de Maintenon succomba comme Mademoiselle, quand son tour fut venu, au charme irrésistible d’une conversation qui « rendait agréables les matières les plus sérieuses et ennoblissait les plus triviales[2]. » Au plus aigre de sa lutte avec Mme de Montespan, l’une et l’autre se happaient au passage, si l’on me passe l’expression, pour avoir le régal de s’écouter, et c’était des deux parts une jouissance si vive, qu’elles avaient peine à se quitter. « — Mme de Montespan et moi, écrivait Mme de Maintenon en 1681[3], nous avons fait aujourd’hui un chemin

  1. Sur ce sujet délicat voir le volume de MM. Jean Lemoine et André Lichtenberger : De La Vallière à Montespan.
  2. Souvenirs sur Mme de Maintenon. — Les Cahiers de Mlle d’Aumale, avec une Introduction de M. G. Hanotaux.
  3. Le 27 mai, à M. de Montchevreuil.