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acclameraient l’Angleterre, libératrice des nations. La Banque de Londres chiffrait les bénéfices de l’opération ; le commerce britannique pointait sur le globe les marchés nouveaux : les îles et colonies de la France et de la Hollande, l’Amérique espagnole en insurrection. L’Angleterre s’enrichissait, de la détresse générale, du chômage des manufactures du continent, de la ruine de toutes les usines désemparées. Plus de concurrens, plus de neutres, ces parasites de la guerre maritime. On s’explique que le Cabinet attendît, pour fournir des subsides aux alliés, d’être sûr qu’ils travailleraient pour l’Angleterre, et que la paix définitive deviendrait la paix anglaise, celle de 1763. Ils ne jugeaient pas encore le moment venu de l’imposer.

Wessenberg, arrivé le 29 mars, trouva peu d’empressement à Londres. Sans doute, la Russie gagnait tout le prestige perdu en 1805, mais la Russie seulement. « L’égoïsme du gouvernement britannique, écrit Wessenberg, n’a jamais été plus prononcé qu’il ne l’est aujourd’hui, et il en résulte un aveuglement dont il ne sera guéri, je crains, que par de grands malheurs. Se croyant sûr de la Russie, il s’imagine pouvoir se passer du reste du continent et surtout pouvoir se passer de la paix avec la France… Il est clair que sa politique sera toujours un système de guerre, aussi longtemps qu’il s’attachera exclusivement au commerce maritime… Les Anglais parlent d’une guerre en Allemagne comme on parlerait d’une guerre aux Indes… » Le prince régent, soufflé par Munster, très hanovrien et fort peu autrichienne montrait froid ; le ministre des Affaires étrangères, Castlereagh, moins qu’agréable envers l’envoyé d’Autriche ; il redoutait même que le bruit d’une négociation se répandît dans le public, tant il serait mal accueilli et compromettrait le Cabinet[1]. Bref, il déclina l’entremise et, à plus forte raison, la médiation de l’Autriche.

L’ancien agent prussien en Angleterre, Jacobi, qui, depuis 1807, se tenait aux aguets, arriva à Londres peu après Wessenberg. Il y fut mieux reçu. C’est qu’au lieu de médiation, il parlait d’alliance, et que la Prusse se trouvait, sous le rapport de l’argent, à la discrétion des Anglais. Enfin on se rendit compte, à Londres, que, sans la Prusse, la Russie ne prendrait point l’offensive. Hardenberg avait chargé Jacobi de communiquer aux

  1. Rapport de Wessenberg, 9 avril 1813.