Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/866

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savoir tous les secrets de l’avenir, faire descendre, comme on veut, du ciel sur des métaux des impressions de bonheur[1], commander aux démons, se faire des armées invisibles et des soldats invulnérables : tout cela est charmant, sans doute, et il y a des gens qui n’ont aucune peine à en comprendre la possibilité : cela leur est le plus aisé du monde à concevoir. Mais pour moi, je vous avoue que mon esprit grossier a quelque peine à le comprendre et à le croire… »

La Fontaine a traité le même sujet dans trois de ses fables. Il en est une, les Devineresses, publiée en 1678, avant le fameux « drame des poisons[2], » par conséquent, où il se montre très renseigné sur ce que la police n’avait pas encore su voir. Il connaissait à merveille l’existence de la « poudre de succession » et de la « poudre pour l’amour. »


Une femme, à Paris, faisait la pythonisse.
On l’allait consulter sur chaque événement ;
Perdait-on un chiffon, avait-on un amant,
Un mari vivant trop, au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse,
Chez la Devineuse on courait,
Pour se faire annoncer ce que l’on désirait.


L’avertissement ne fut pas remarqué, et il fallut la Chambre ardente de 1680 pour faire comprendre aux honnêtes gens que « la Devineuse » se doublait le plus souvent d’une marchande de poison ; mais La Fontaine n’avait rien appris à personne sur la confiance qu’elle savait inspirer. La chose était bien connue. Cette dangereuse engeance, que l’on a déjà entrevue à l’occasion des premières poursuites contre Lesage et Mariette, mérite quelques détails. Elle fut mêlée à Paris, pendant une vingtaine d’années, à tant d’intrigues et à tant de crimes, qu’elle exerça une réelle influence sur la moralité du monde parisien et, par là, sur les affaires de la Cour.


III

Ce fut comme un vent de folie, qui souffla plus particulièrement sur les femmes. Beaucoup d’entre elles étaient à l’état de révolte, inconsolables d’avoir perdu le surcroît d’importance

  1. Allusions à certains talismans.
  2. Voir le volume publié sous ce titre, par M. Frantz Funck-Brentano.