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femmes masquées ou emmitouflées, se succédaient devant une porte close, qui ne s’ouvrait que sur un signal particulier. L’état d’esprit qui amenait cette foule chez la devineresse était répandu dans toutes les classes de la société, des plus basses aux plus hautes. La crédulité publique traversait une période d’épanouissement qui jurait avec la splendeur intellectuelle de la France d’alors, et dont ne s’étonneront pourtant que ceux qui croient aux formules simples en histoire. Deux de nos grands classiques ont laissé des pages qui témoignent de la grandeur du mal, dans ce même moment où notre pays prenait la tête de l’Europe. Molière s’est moqué des sciences occultes et de leurs adeptes tout au long d’une pièce, ou plutôt d’un « livre de ballet[1], » qu’il écrivit pour le Roi en 1670, et qui s’appelle, comme on sait, les Amans magnifiques. Les personnages y sont divisés en deux camps d’après une règle de sa façon, fort impertinente pour les grands de ce monde : Molière les avantage quant à la bêtise. Il lui suffit que ses héros soient illustres par le rang et la naissance pour les doter d’une foi aveugle à tous les grimoires. « — La vérité de l’astrologie, dit le prince Iphicrate, est une chose incontestable, et il n’y a personne qui puisse disputer contre la certitude de ses prédictions. » C’est aussi l’avis du prince Timoclès : « — Je suis assez incrédule pour quantité de choses ; mais, pour ce qui est de l’astrologie, il n’y a rien de plus sûr et de plus constant que le succès des horoscopes qu’elle tire. » La princesse Aristione est de la même opinion et s’inquiète de trouver sa fille moins convaincue. C’est un commencement de libertinage d’esprit, et l’on ne sait pas où cela peut vous mener : « — Ma fille, lui dit-elle, vous avez une petite incrédulité qui ne vous quitte point. »

L’athéisme en astrologie et en sorcellerie est représenté dans la pièce par Molière, qui s’est mis en scène sous le nom de « Clitidas, plaisant de Cour, » et par un autre personnage de naissance obscure, « Sostrate, général d’année, » qui prend le parti de Clitidas contre les prophètes en chambre et autres exploiteurs de la sottise humaine. — « Il n’est rien de plus agréable, dit-il, que toutes les grandes promesses de ces connaissances sublimes. Transformer tout en or, faire vivre éternellement, guérir par des paroles, se faire aimer de qui l’on veut,

  1. Voyez la Notice sur la pièce dans le Molière des Grands écrivains de la France (Hachette).