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plus renvoyer, par personne, tout craintif et tout soumis qu’il fût. Le Roi s’était (retiré, obéissant à l’usage qui interdisait aux princes, comme jadis aux dieux, de voir mourir. Il fit dire par deux fois à son frère de ne pas rester là, et en reçut pour réponse « qu’il ne lui pouvait obéir en cela, mais qu’il lui promettait que c’était la seule chose en quoi il lui désobéirait de sa vie[1]. » Ce fut par un cri de Monsieur, qui perça les murailles, que Louis XIV apprit que sa mère était morte.

La jeune reine Marie-Thérèse, qui perdait tout, justifia la réputation de « bêtise » que la Cour lui avait faite. Elle se laissa persuader que son rôle allait grandir de tout celui de la Reine mère, et fut plus qu’à demi consolée par cette chimère.

Mademoiselle observa scrupuleusement les bienséances ; c’est tout ce que l’on peut dire. Anne d’Autriche avait souligné de son côté dans une heure solennelle la ténacité de sa rancune contre sa nièce. La veille de sa mort, elle fit ses adieux aux siens. Deux seulement parurent oubliés : « Je fus étonnée, raconte Mademoiselle, qu’elle ne dit pas un mot à M. le Prince ni à moi, qui étions là, après tout ce qui s’était passé, et particulièrement à moi, qui ai toujours été nourrie auprès d’elle. » C’était justement à cause de « tout ce qui s’était passé. » Anne d’Autriche donnait le bon exemple au Roi : elle expirait sans avoir pardonné aux Frondeurs.

De grands changemens suivirent sa mort. Louis XIV avait perdu sa mère le 20 janvier 1666. Le 27, une députation du Parlement vint « faire les complimens au Roi. » D’Ormesson en était. — « Je fus après, dit son Journal, à la messe du Roi, où étaient la Reine, M. le Dauphin, Monsieur et Mlle de La Vallière, que la Reine a prise auprès d’elle par complaisance pour le Roi. En quoi elle est fort sage. » Louis XIV présentait officiellement sa maîtresse à son peuple et lui assignait son rang dans l’Etat, immédiatement au-dessous de l’épouse légitime. Il n’aurait pas osé du vivant de sa mère. Deux mois plus tard, il était délivré de la « Cabale des Dévots, » et de ses observations importunes, par la disparition de la Compagnie du Saint-Sacrement. Il ne paraît pas impossible que la mort de la Reine mère ait à tout le moins hâté cet événement. Anne d’Autriche connaissait la société de longue date[2]

  1. Mémoires de Mme de Motteville.
  2. Voyez Raoul Allier, la Cabale des Dévots.