Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

momens les plus romanesques de leur histoire. L’habitude était prise d’être traitées en égales par les hommes, quand la volonté d’un monarque qui se déliait d’elles les précipita brusquement de ces sommets.

On a vu à propos de La Val Hère avec quel mépris Louis XIV parle des femmes dans ses Mémoires. Il avait sur leur sexe des idées orientales, se rapprochant de celles que ses ancêtres espagnols avaient héritées des Maures. Il ne pouvait point se passer d’elles, mais il ne leur demandait que du plaisir. Au fond, il ne les croyait pas capables de donner plus ; il les jugeait inférieures et dangereuses, peut-être en souvenir de Marie Mancini, qui avait failli l’entraîner à un crime contre la royauté. A peine eut-il le pouvoir, toutes celles qui étaient sorties du rang durent se hâter d’y rentrer : il n’était plus permis aux femmes d’avoir de l’importance qu’en amour. Louis XIV ne faisait pas d’exception pour ses maîtresses ; elles ne furent jamais admises, y compris l’ambitieuse Montespan, à être autre chose que belles et amusantes. Quand Mme de Maintenon, sur la fin du règne, eut la gloire de relever son sexe dans l’estime du Roi, elle n’en bénéficia que pour son compte personnel. La généralité n’y gagna rien ; le pli était trop bien pris.

Réduites tout d’un coup à une existence où l’horizon s’était refermé, les femmes la trouvèrent pâle et mesquine. Elles demandèrent à l’amour, puisqu’on ne leur laissait que cela, de leur rendre les émotions violentes dont elles avaient pris l’habitude dans les camps et dans les conseils. Il sortit de là des choses étranges, qui se remarquèrent peu tant que la Reine mère fut de ce monde ; Anne d’Autriche obtenait, faute de mieux, que l’on sauvât les apparences. Elle morte, on eut la débâcle, et les choses étranges devinrent des choses effroyables.


II

Ce fut à Versailles, parmi les feux de Bengale de l’Ile enchantée, que la Reine mère sentit la première morsure du cancer qui devait l’emporter. Paris suivit avec chagrin la marche de son mal. Anne d’Autriche était redevenue populaire depuis qu’elle n’était plus rien. « Elle conserve l’union, écrivait d’Ormesson, et quoiqu’elle n’ait aucun crédit pour faire du bien, elle empêche à ce qu’on croit beaucoup de mal (5 juin 1665). »