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de sa famille, dont les années, au surplus, « lui faisaient peur, car il désirait avoir des enfans[1]. » Il avait aussi un compte d’amour-propre à régler avec Mademoiselle, qui l’avait dédaigné du temps où elle était jeune et belle. À cette époque lointaine, Charles-Emmanuel, bien que de sept ans son cadet, n’avait pas caché qu’il ne se ferait pas prier pour l’épouser, « tant par quelque estime de sa personne que par le désir de son grand bien[2]. » Mais il en avait été du duc de Savoie comme du prince de Galles, et, plus tard, du prince de Lorraine :


Quoi ? moi ! quoi ? ces gens-là ! l’on radote, je pense,
A moi les proposer ! hélas ! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espèce[3].


Devenue moins exigeante avec les années, Mademoiselle trouvait un homme qui n’entendait pas jouer le rôle de pis-aller.

Il tint bon, et ce fut encore une Nemours[4], sœur de la reine de Portugal, qui hérita du mari destiné à la Grande Mademoiselle. A force d’avoir fait la difficile, il arrivait à cette princesse la même aventure qu’à la fille à marier de La Fontaine : elle allait en être réduite à épouser un cadet de Gascogne, le « malotru » de la fable.

Je crois du reste que La Fontaine avait pensé à, elle en écrivant la Fille. On s’est demandé s’il n’aurait pas emprunté son sujet à une épigramme de Martial. Il n’avait pas eu besoin d’aller chercher si loin. Le 8 juillet 1664, La Fontaine avait été nommé « gentilhomme servant de la duchesse douairière d’Orléans[5] ; » c’est dire s’il était au courant des mariages manques et des petits ridicules de la belle-fille de la maison. Nous possédons ses confidences sur le Luxembourg, côté Madame et côté Mademoiselle, dans une Epître dédiée à Mignon, le petit chien de sa maîtresse.

Pour La Fontaine, le Luxembourg était le palais où l’on n’avait pas le droit d’être amoureux. C’était défendu chez Madame, où il fallait se contenter des « dévots sourires » de

  1. Mémoires de Mme de Motteville.
  2. L’archevêque d’Embrun à Brienne père ; Turin, le 1er août 1659.
  3. La Fontaine : la Fille, fable publiée pour la première fois dans l’édition de 1618 et 1679.
  4. Marie-Jeanne-Baptiste de Nemours épousa Charles-Emmanuel II le 11 mai 1665.
  5. Et non de Madame Henriette, comme il a été dit par erreur.