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le retour de Mlle d’Orléans, et que le Roi lui avait écrit de sa main pour lui permettre de revenir, sans en avoir rien dit à la Reine mère : que c’était en vue du mariage de Savoie. »

Louis XIV ne s’était pas résigné sans effort à procurer un si bel établissement à une ancienne Frondeuse. On voit par une lettre du grand Condé à la reine de Pologne que la rancune royale avait dû céder à la raison d’État :


Fontainebleau, 3 juin 1664.

« Mademoiselle aiant escrit au Roy sur la grossesse de la reyne sa majesté lui a faict response qui est une marque qu’il est fort adoucy pour elle tout le monde même croit qu’elle reviendra et que sa maiesté consentira à son mariage avec M. de Savoie qu’il n’avoit pas voulu jusques à cette heure à cause qu’il aimoit mieux celui de Mlle dalanson[1]mais comme elle est fort laide et que pour lui doner un nouvel agrément elle a la plus furieuse petite vérole du monde et que le roy croit que M. de Savoie ne se résoudra pas volontiers à l’espouser, il appréhende qu’il ne songe à espouser une de la maison d’Autriche et ainsy je croy qu’il se résoudra plus tôt à faire le mariage de Mlle quelque aversion d’ailleurs qu’il y ait ce qui n’est pas pourtant encore assuré mais iy vois beaucoup d’apparence[2]… »

Il n’y avait pas de danger que Mademoiselle fît la petite bouche pour ce mari-là ; le Roi le savait bien. Elle arriva à Fontainebleau dans la première quinzaine de juin 1664. Toute la Cour était allée à sa rencontre sur la grande route. Mademoiselle était la première personne qui eût fait céder le Roi depuis qu’il avait pris le gouvernement. C’était une gloire. Elle le sentait bien, et rentrait la tête haute. Louis XIV eut le bon goût de ne pas lui en vouloir. Il l’accueillit gracieusement, et borna sa vengeance à la taquiner pendant les quelques jours qu’elle passa auprès de lui. « Avouez, lui disait-il, que vous vous êtes fort ennuyée ? » Elle se récriait : « Je vous assure que non, et que je pensais souvent : on eut bien attrapé à la Cour si l’on croit me mortifier, car je ne m’ennuie pas un moment. » Il en croyait ce qu’il voulait. Un soir, après la comédie, il la mena sur une petite terrasse, et prit la parole en ces termes : « Il faut oublier le passé ; soyez

  1. Mlle d’AIençon, la seconde des demi-sœurs de Mademoiselle.
  2. Archives de Chantilly.