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l’inquiétude religieuse. Le philosophe a été ramené à cette question troublante par la logique de sa doctrine, et aussi par l’effet de sa curiosité sociale, au spectacle de la vie anglaise, si formaliste, si timorée. On lui a toujours reproché dans son pays son indifférence de cœur à l’égard de la religion et son scepticisme confessionnel. On ne se trompait en effet qu’à moitié : la doctrine de l’évolution ne permettait pas de négliger les faits religieux ; elle défendait également de leur faire une place à part, de leur conférer un prestige privilégié, et, surtout, de reconnaître à telle religion particulière d’autre mérite que son action historique. Ce n’est donc pas en méthodiste, ni en quaker, ni même en croyant, que Spencer aborde la religion, et lorsque nous le voyons entreprendre de faire, à côté de la science, sa place à la religion, il faut entendre au sentiment religieux, envisagé comme principe naturel des formes historiques, et indéfiniment mobile au cours de la marche humaine.

Il ne saurait donc exister de conflit réel entre deux expressions également naturelles et nécessaires de l’âme humaine : la science nouvelle et la religion ancienne. Spencer estime que ce conflit, s’il y en a un, est transitoire, presque accidentel : il vient du passé, il disparaîtra dans l’avenir. Il signifie simplement que la science et la religion n’ont pas toujours rempli leur mission véritable, et les réconcilier l’une et l’autre sera simplement les rappeler à elles-mêmes.

Il est arrivé que la religion, d’abord dominante, a été irréligieuse : elle a tenté d’expliquer ce qu’il est précisément dans son rôle d’envelopper de mystère parmi les hommes. Mais elle n’accepte pas l’ignorance et se hasarde volontiers à figurer dans ses dogmes des forces inconnues. Aussi, dès que paraît la science, est-elle contrainte de lui céder en effet le terrain qu’elle avait indûment occupé par ses mythes ou ses légendes ; elle s’irrite et se croit mutilée quand elle est obligée de se purifier. « Tous les degrés de développement parcourus par la religion, depuis sa conception primitive et là plus grossière, jusqu’aux idées relativement élevées qu’elle professe aujourd’hui, elle les a parcourus grâce à la science, ou plutôt forcée par la science. De nos jours la science ne la force-t-elle pas de s’avancer dans le même sens ? » Et c’est cette influence de la science sur la religion qui a pu sembler parfois irréligieuse, alors qu’elle a seulement pour effet de restituer à la foi son vrai caractère et de l’élever au-dessus