Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pareillement, parce qu’ils s’élèvent de l’uniformité à la multiformité. Dès cet Essai, la question pour Spencer est simplement de généraliser l’usage de ce progrès dont la société lui a suggéré l’idée et l’organisme la formule ; de montrer que « cette loi du progrès organique est la loi de tout progrès. »

On voit comment Spencer, qui était parti dans son observation personnelle de la statique sociale, s’est aussitôt rencontré avec les jeunes sciences de la vie : il construira son système du monde sur l’union de ces deux disciplines naissantes, l’une qui venait de lui et l’autre qui venait à lui. On a dit de Descartes qu’il avait été un métaphysicien mathématicien ; on pourrait dire de Kant qu’il a été un métaphysicien physicien ; il faut certainement dire de Spencer qu’il a été un métaphysicien sociologue. Il a lui-même précisé à bien des reprises ce mouvement de sa pensée ; il en a fait confidence à ses biographes et aux pages de son Autobiographie, à la dernière édition de ses Principes, il a ajouté un appendice où il confesse que, si sa doctrine s’était développée uniquement dans le sens de la Statique sociale, elle aurait pris une autre forme. Mais il arriva que cette inspiration du début « fut changée par la généralisation de von Baër, » par la loi du passage de l’homogène à l’hétérogène. — Le journaliste avait posé la question ; le biologiste l’a résolue.

Il est utile de bien fixer cette filiation historique pour la gloire même de Spencer. Si l’on s’en tient à la date des Premiers Principes, il semble que Spencer n’est qu’un imitateur : il aurait uniquement généralisé la théorie du transformisme darwinien. Si l’on songe à l’Essai sur le Progrès, aux Principes de Psychologie aussi bien qu’aux Lois dernières de la Physiologie, dont les dates sont antérieures, non seulement à l’ouvrage de Darwin, mais aux relations de Spencer avec Darwin, on en juge tout autrement : Spencer n’est pas darwinien, mais la philosophie de Spencer embrasse la science de Darwin, comme elle embrassera tout à l’heure la nouvelle physique avec laquelle on la confondait. Précisons en quelques mots, et sans nous égarer dans des spécialités.

L’hypothèse de Darwin sur la formation des espèces est purement mécaniste, puisqu’elle ne fait aucune place à l’idée de fonction et d’activité. Il y faut supposer, comme principe de toute transformation, un accident heureux, un hasard favorable de naissance et de structure, armant ainsi d’une défense nouvelle,