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l’utilitarisme. Il a renoué l’une à l’autre deux grandes traditions modernes.

Spencer avait été formé dès sa petite enfance à la recherche du fait. Il avait reçu de son père une éducation excellente de savant, d’observateur, et où les livres n’avaient point de place en regard de la vie.

Herbert ne savait pas lire à sept ans et, à l’école, il devient tout de suite, nous disent ses biographes, un très médiocre élève. Il ne plut apprendre la grammaire ni les langues, il répugne aux exercices de mémoire et ses jeux d’enfant, ses travaux, sont les études vivantes de la botanique, de l’entomologie ; il a la vive curiosité des plantes, des insectes, des êtres. A treize ans, il se trouve confié aux soins pédagogiques d’un brave homme d’oncle, le révérend père Thomas Spencer, lauréat de Cambridge, lequel destine tout naïvement son neveu aux gloires universitaires. Mais déjà Spencer dédaigne l’éducation de l’Université, comme plus tard il en dédaignera les fonctions. Il n’est pas passé par Cambridge, lui, ni par Oxford ; il n’a pris aucun titre, sollicité aucun poste. Il a toujours considéré, par instinct d’abord, par réflexion et expérience ensuite, que l’enseignement officiel était incapable de donner une idée réelle de la nature et surtout de la société. « Dans la conscience d’un homme qui a passé par le curriculum d’études universellement à la mode, écrira-t-il à la fin de sa vie, il n’y a pas de place pour la causalité naturelle. Au contraire, il y existe seulement l’idée de ce qui en un sens relatif est une causalité artificielle, la causalité par influences établies… »

Vers la fin de son adolescence, s’étant appliqué aux mathématiques, il entre dans les chemins de fer et, pendant huit ans, collabore au Journal des Ingénieurs civils, traite des questions spéciales, rédige des rapports professionnels, fait des découvertes techniques. Il s’affermit par son métier même dans cette attitude scientifique dont il avait eu de si bonne heure l’instinct et qui demeurera, dans tout ordre de réflexion ou d’expérience, la marque propre de son esprit. Son Autobiographie foisonne en petites inventions ; il les énumère et les détaille avec une complaisance infinie. Non seulement Spencer ne s’est pas formé par les