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décroissante du sol l’oblige à occuper plus de ce sol pour vivre. Il est défendu par l’espace contre la contagion de fièvres intellectuelles qui sévissent dans les masses populaires, il voit mieux, dans les étendues qu’il domine et que son regard parcourt, la petitesse de la place occupée par les plus puissantes industries, par les plus vastes villes, quelle trace grêle et peu profonde les mains humaines impriment sur la masse énorme de la nature, et combien, malgré elles, demeure immuable la face du monde. Il contemple sans cesse les victoires des choses sur l’homme, et il ne compte pas sur la plus incertaine et la plus fragile de ses œuvres, la politique, pour vaincre la puissance d’inertie que les lois permanentes de la vie opposent aux lois improvisées des foules.

Voilà pourquoi les régions du Limousin, du Berry, du Nivernais, du Forez, de la Bourgogne, où le trésor souterrain des mines s’ajoute à la fertilité du sol, où un filon de richesse, divers dans sa nature mais ininterrompu dans sa fécondité, attire, emploie et fixe, par masses épaisses, les travailleurs du kaolin, de la houille, du fer, de l’acier, du verre, de la soie, connaissent à la fois la fièvre industrielle et politique. Voilà pourquoi, au sud de ces régions agitées, les pentes agricoles et les hauteurs pastorales de l’Auvergne et des Alpes portent jusqu’aux frontières du Midi le climat, le silence et la gravité du Nord. Ainsi dans la moyenne France, qui sépare les deux autres et que leur influence se dispute, le Nord se continue encore par les montagnes, et par les plaines s’annonce déjà le Midi.


ETIENNE LAMY.