Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certain mélange de libéraux et de révolutionnaires. Leur coalition accidentelle n’avait pas eu le temps de se rompre, et l’entente naturelle entre les libéraux le temps de se renouer, quand la guerre succéda au plébiscite, et que le 10 août, au lendemain de nos premières défaites, la France renouvela ses conseils municipaux. Dans le désaccord survenu entre des hommes qui jusque-là pensaient de même, et dans le rapprochement opéré entre ceux qui jusque-là poursuivaient des desseins contraires, le parti avancé avait trouvé son avantage. Nombre de villes, surtout les grandes, votèrent des listes où les amis de la liberté réglée se trouvaient unis à des amis de la violence politique et à des partisans de la liquidation sociale.

A mesure que s’aggravaient les malheurs de la campagne, les Français qui s’étaient dits amis de l’Empire devenaient plus timides dans leur fidélité, ceux qui s’étaient déclarés ses adversaires s’affermissaient dans leur opposition. Enfin, quand le suprême désastre détruisit à Sedan la dernière armée de la France, il parut donner irrémédiablement tort à tous les libéraux qui avaient cru assurer les destinées de la nation par un pacte avec la dynastie impériale. Il ne justifiait, triste victoire, lamentable triomphe, que les prophètes de malheur : les révolutionnaires seuls paraissaient les amis clairvoyans de la France. La justification de leur haine était faite pour accroître tout d’un coup leur crédit dans le pays, leur dédain du sentiment général, leur certitude qu’ils devaient, dans l’intérêt public, consulter seulement eux-mêmes, et leur audace à saisir tout le pouvoir que leur offrirait l’occasion.

Or toutes les barrières qui avaient contenu dix-huit ans la rébellion de leur volonté contre la volonté générale tombaient devant eux. Ils avaient cédé aux contraintes matérielles dont la force première est la police et la force dernière l’armée : cette armée était tout entière devant l’ennemi ou prisonnière chez l’ennemi, et, sans armée pour la soutenir, la police n’est plus redoutable. La puissance du mot Napoléon, contre lequel s’était brisé si longtemps leur effort, était brisée elle-même, et le prestige passait à un autre mot, la République, au régime qu’ils n’avaient cessé de vouloir et qu’ils venaient d’établir. Si, plus d’une fois adoptée et confisquée dès son avènement par ses adversaires de la veille, la République avait traité en ennemis ses fondateurs les révolutionnaires, c’était toujours à l’aide de l’armée