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comprendre les questions professionnelles et par suite à distinguer, parmi leurs compagnons, les plus capables de servir la cause commune. Le premier résultat de la réforme impériale fut de donner à la classe ouvrière une direction autonome, et, ces premiers élus de leurs pairs considéraient pour essentiel de tenir séparées leur œuvre et la politique. Autres et plus vastes étaient les alliances qu’aussitôt ils conçurent et préparèrent. Si dans chaque nation l’entente se faisait entre les ouvriers des divers métiers, si dans le monde entier elle s’étendait entre les ouvriers des diverses nations, la puissance du prolétariat deviendrait infinie, et sa volonté, maîtresse de régler et de sus-prendre toutes les productions, suffirait, sans qu’il fût besoin de recourir aux gouvernemens, à changer le sort des ouvriers. L’Association internationale des Travailleurs commença, conçue par des Français, française par l’étendue rationnelle et audacieuse du plan. Et ce plan était à la fois une œuvre de courage et de patience : de courage, parce que, pour améliorer le sort de leur classe, les novateurs ne comptaient ni sur l’émeute ni sur le pouvoir, mais seulement sur l’initiative individuelle et la discipline volontaire ; de patience, puisqu’ils demandaient aux privations et à la solidarité de leurs pairs toute la semence des récoltes lointaines.

Mais en ne cédant rien aux colères, à la cupidité, à la paresse, cette méthode blessait les haineux incapables de reconnaître la justice où ne seraient pas les vengeances, les impatiens résolus à ne consentir aucuns délais aux accapareurs de la richesse, les paresseux pour qui le bonheur finit où l’effort commence. Ceux-là rêvaient d’un changement plus complet et plus prompt. Pour eux, qu’était la société ? La spoliation héréditaire. Le commencement de l’ordre ? Le partage égal de la richesse. La durée de l’ordre ? Le maintien de légalité rétablie. L’instrument de l’ordre ? Des lois assez réparatrices pour imposer la justice aux hommes. La garantie de l’ordre ? La vertu révolutionnaire d’un prolétariat assez fort pour imposer la justice aux lois. Qui pouvait remettre en un fonds commun les richesses offertes à tous par la nature et accaparées par quelques-uns ? L’Etat seul. Qui pouvait, après le nouveau partage, mettre obstacle à la reconstitution de l’inégalité ancienne ? L’État seul. Quel était donc pour chaque prolétaire l’unique moyen de changer son sort ? Conquérir l’État. Plus les hommes étaient incultes,