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condition et la garantie de l’ordre, la liberté. Ils refusaient d’abandonner l’avenir de tous à la garde hasardeuse d’un seul. Leurs idées avaient trouvé leur expression la plus lumineuse, la plus simple et la plus complote, quand reparut à la tribune relevée M. Thiers. Sa revendication des franchises intérieures, qu’il définit « les libertés nécessaires, » sa défiance contre les changemens de l’Europe et la témérité d’aimer la grandeur des voisins, son respect pour la foi catholique de la France et les droits de la papauté étaient leurs respects, leurs défiances et leurs revendications. La France, dès alors, savait n’être en désaccord avec eux que sur la meilleure manière de gérer un patrimoine également cher à eux et à elle. Elle avait repoussé leurs conseils sans suspecter leurs intentions, et, parce qu’ils ne passaient ni pour destructeurs de la société ni pour ennemis de l’Empire, elle leur avait prêté une oreille plus attentive à mesure que l’Empereur, en amoindrissant la dictature, semblait recommander lui-même leurs doctrines. Et malgré que, par ses candidatures officielles, il continuât à soutenir la politique de son passé contre la politique de son avenir, ils avaient, minorité toujours, mais minorité grandissante, fait entrer dans le Corps législatif, aux élections de 1869, quatre-vingts représentans. Or, sur l’unique désaccord entre eux et le pays, le malheur venait de prononcer. Les institutions vingt ans chères à la France semblaient, pour avoir sombré sur recueil, l’avoir fait surgir ; le régime réclame par eux, semblait, pour n’avoir pas été soumis à l’épreuve, celui qui eût tout sauvé. Conseillers naturels de l’anxiété publique, ils présentaient pour triompher de la mauvaise fortune le remède qu’ils avaient proposé pour la prévenir, le gouvernement du pays par le pays. Comme ils avaient voulu ce gouvernement sous l’Empire, ils le voulaient sous la République, plus pressans parce que les circonstances étaient plus urgentes. Ils avaient hâte de former par des élections libres une Assemblée qui se vouât à la défense, et ne doutaient pas qu’une adhésion générale ne composât cette fois cette Assemblée de leurs chefs.


La minorité de la minorité poursuivait de tout autres desseins, elle-même scindée en deux groupes aussi contraires l’un à l’autre qu’ils l’étaient ensemble aux hommes, de liberté : c’étaient les bourgeois révolutionnaires et les ouvriers socialistes.