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l’autre à travers les membranes cellulaires. Dans ses belles études sur la greffe des solanées, le botaniste allemand Strassburger, en 1884, a retrouvé ces communications protoplasmiques entre les tissus du sujet et ceux du greffon. D’autres observateurs, depuis ce temps, les ont constatées chez les conifères, les loranthacées et récemment dans la vigne et les autres plantes. Il peut donc y avoir, et il y a réellement dans la greffe une fusion des protoplasmes cellulaires des deux plantes. Ce mélange entraîne la mixture de leurs caractères dans le greffon. Il se passe ici ce qui se passe dans la fécondation sexuelle en général et la fécondation croisée en particulier. Ces actes physiologiques, sources du mélange des caractères et de l’hybridité ne sont pas autre chose, en effet, qu’une fusion des protoplasmes.


Ces études offrent un intérêt évident pour la science biologique. Elles n’ont pas moins d’importance pratique. Nous n’en signalerons qu’une conséquence relative au vignoble français. Ce n’est rien moins que son avenir qui est en jeu. On a sauvé les vignes du phylloxéra en les greffant sur plant américain ; et l’on a admis, comme un dogme, que les ceps et le vin qui en sort ne perdraient aucun des caractères qui ont fait leur réputation, et qu’ils n’en acquerraient aucun de fâcheux. On a cru, en d’autres termes, qu’il en serait de la vigne comme des arbres fruitiers. Mais, au point de vue biologique, la condition de ces deux espèces de greffages est toute contraire. Les arbres fruitiers sont des plantes vigoureuses greffées sur des espèces plus faibles, c’est-à-dire assujetties à vivre en milieu plus sec. La vigne française greffée sur plant américain est, à l’inverse, une plante végétativement faible greffée sur un sujet vigoureux et assujettie par-là à vivre en milieu plus humide. De là une végétation différente plus riche, plus vulnérable et une résistance moindre aux changemens du milieu et aux attaques des parasites cryptogamiques. Aussi quelques botanistes prétendent-ils, et M. Daniel est du nombre, que la vigne dégénère déjà, qu’elle dégénérera davantage, que les signes de cette altération se multiplient, et qu’il est grand temps d’y porter remède en créant des types de remplacement.


A. DASTRE.